Marie-Laure Choplin: dire son Dieu inconnu
Son livre envoûte et stimule. Et dire qu’il ne serait pas paru si, hospitalisée pour la énième fois, elle, l’aumônier hospitalier, n’avait compris à la mine des médecins que la mort rôdait. «Que regretterais-je de n’avoir pas fait ?» se demanda-t-elle. De retour chez elle, Marie-Laure Choplin expédia son dernier manuscrit, des chroniques radiophoniques, à l’éditeur de L’autre Dieu: un titre de Marion Muller-Colard qu’elle apprécie particulièrement parmi les «pépites de la Petite bibliothèque spirituelle de Labor et Fides». Le courriel enthousiaste de l’éditeur lui parvint à l’hôpital, au lendemain d’une nouvelle urgence; quelques minutes avant la visite de trois médecins au visage sombre, bien incapables de concilier son sourire extatique et le résultat du dernier scanner… Heureusement rétablie, Marie-Laure Choplin rit de ce souvenir, dans la pièce sous les combles où elle médite trente minutes chaque matin devant une icône de l’hospitalité d’Abraham. Et ne dit rien de ses autres manuscrits empilés non loin, sinon qu’ils sont nombreux puisqu’elle écrit «depuis toujours - pour vivre et pour entendre». Elle noircissait des cahiers avant même que son frère Antoine, son aîné de sept ans avec qui, adolescente, elle échangeait déjà des textes, ne publie le premier roman qui allait faire de lui un écrivain admiré des «happy few».
Du livre-objet à l'aumônerie
Une soeur vouée aux arts plastiques, un jumeau philosophe: la fratrie Choplin est créatrice, élevée à Versailles par une mère éducatrice spécialisée et un père ingénieur en aéronautique, passionné de beaux-arts, et attendant de ses enfants qu’ils excellent. «Ecrire, rendre sensible, transmettre, accompagner», écrit-elle sur un réseau social. Avant d’en arriver là, Marie-Laure Choplin traça un chemin sinueux. Latin-grec pour le plaisir, un diplôme de technicienne en édition pour gagner sa vie. Mais l’essentiel, pendant longtemps, fut la danse et le mime, dont elle renonça de justesse à faire sa profession.
Partie avec son compagnon pour une année chez son frère Antoine en Isère, «histoire de connaître autre chose que Paris», elle s’y enracina. A la faillite de son employeur, elle vécut de graphisme, et pour s’épanouir créa les éditions Feuillages. Des livres-objets: textes, peintures, collages, photos retravaillées, impression, reliure, tout était de sa main. Elle est très vite sollicitée pour des médiations, interventions scolaires, ateliers de création et d’écriture, expositions. A cette catholique convaincue mais comme étrangère à son Eglise, car mal à l’aise dans la pensée cloisonnée, un prêtre propose un jour de devenir aumônier hospitalier. Il faut dire que, tôt impliquée dans le bénévolat, elle est familière de l’écoute active, et s’est beaucoup formée à la médiation culturelle et autres disciplines voisines.
De plain-pied dans son Église
Stage, apprentissage, études en cours d’emploi, l’aumônier en formation garde pour la fin la théologie. Et là, révélation: elle qui «n’a jamais été sans la foi» se sent enfin légitime au sein de la communauté. Car un professeur de dogmatique défend une pensée et parle un langage qu’elle reconnaît pour siens. Critique, lucide, ouvert – son premier cours débute par la guerre d’Algérie, sujet sensible abordé sans faux-fuyants. D’autres enseignants renforceront cette position qui donne à Marie-Laure Choplin le sentiment d’appartenance qui longtemps lui manqua douloureusement. On interroge sur sa foi celle qui écrit «Prier, c’est renoncer à traquer la lumière et dans la nuit qui dure nous laisser respirer par le Souffle». Plutôt que de foi, elle parle de «vie de Dieu», qu’elle vit parfois «comme si c’était absolument nouveau», et pas comme si elle «empilait de l’expérience, en gagnant enfin en maturité». Evoque «des éblouissements soudains, comme si je n’en savais rien auparavant. Depuis toute petite, c’est le plus intense de la vie, comme le dit Christian Bobin, l’endroit le plus palpitant». Ses auteurs favoris, Simone Weil, Dostoïevski, Bernanos, Tarkovski, le lui «ont toujours dit: le coeur du coeur est là. Ma quête, c’est de ne pas présupposer ce que Dieu attend de moi ni par quelle porte il va frapper. Du coup il y a un grand ’ je ne sais pas ’ dans le centre de ma vie. A la fois je ne sais pas, et c’est le lieu où être».
Bio express
1970 Naissance à Versailles.
1989 Diplôme de Lettres classiques à la Sorbonne. Etudie le mime chez Etienne Decroux et la danse.
1993 Part au Touvet (Isère) chez son frère.
1998 Formation d’aumônier d’hôpital à Grenoble.
2000 Retrouve Thierry, amour d’adolescence. Mariage.
2001 Naissance de Louise, suivie en 2004 de Johanne.
2012 Licence en théologie à l’Université de Lyon.
2013 Réalisatrice radio à RCF Isère, émission Murmures.
2016 Responsable de l’aumônerie du CHU de Grenoble.
Un Dieu inconnu chante à la fenêtre
«Pour moi aujourd’hui, la vie spirituelle, c’est ne pas connaître Dieu, c’est-à-dire ne pas savoir par avance par quel bout il va me rencontrer. De me laisser surprendre. Il ‘chante à la fenêtre’ tandis que nous, agenouillés, le cherchons dans la minuscule chambre intérieure où nous le confinons parce que nous croyons que c’est sa place. Mon travail spirituel, c’est de venir en laissant de côté tout ce que je crois de lui. Le Dieu inconnu, c’est celui que je viens rencontrer pour que lui me dise qui il est – ou qu’il se taise, ou qu’il me dise dans le silence. Je ne dis rien de ce que je ne sais pas, rien de tout ce que l’on dit toujours de Dieu, de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas, et qui n’a aucun rapport avec mon expérience. Ça paraît très prétentieux mais c’est ce que j’ai essayé de faire avec Un Cœur sans rempart»