Face à l’islamophobie, des musulmans se politisent
«Ma vie s’est arrêtée le jour de la victoire de Donald Trump.» Mohamed Taaher n’a pas vu sa femme et son plus jeune fils depuis trois ans. Zaid Alnaji, lui, désespère de retrouver sa mère. «Elle est âgée et sa santé fragile. Elle est toute seule et je ne peux rien faire», répète-t-il en colère. Leurs demandes de visas pour leurs proches non américains ont toutes été refusées.
Les deux hommes, Américains d’origine yéménite, font partie de milliers de personnes touchées par le décret anti-immigration, plus connu sous le nom de «Muslim Ban». Il interdit aux ressortissants de 13 pays, où l’islam est majoritaire, d’entrer aux Etats-Unis. Le texte a été ratifié par Donald Trump quelques jours seulement après son arrivée à la Maison- Blanche. A l’époque, des milliers de personnes protestent dans la rue à New York, San Francisco, Chicago… et pour la première fois depuis des décennies, la communauté musulmane manifeste en masse. «Il l’avait promis durant sa campagne, mais on n’aurait jamais imaginé qu’il le fasse vraiment. C’était un choc», se rappelle Zaid Alnaji, devenu depuis l’un des militants les plus actifs contre ce décret.
Islamophobie en hausse
Pour la majorité des musulmans, les décisions de l’administration Trump marquent une nouvelle ère.
Beaucoup estiment que la rhétorique utilisée par l’actuel locataire de la Maison- Blanche est en grande partie responsable de la récente hausse des agressions et actes islamophobes. Selon les études du FBI, ces chiffres seraient même supérieurs à ceux enregistrés juste après le 11 septembre 2001.
Avant 2016, Farhana Huda Islam, cette New-yorkaise d’origine bangladaise, ne s’était «jamais intéressée à la politique». Depuis, avec des amis, elle a fondé «Musulmans pour le progrès», groupe qui sensibilise les musulmans américains. «J’ai pris conscience qu’on avait un pouvoir: notre vote!» Depuis trois ans, MFP organise des conférences et fait du porte-à-porte. Et ça marche: aujourd’hui, 75 % des musulmans américains ont leur carte d’électeur. Une hausse de plus de 20 %. Les deux tiers votent démocrates.
Engagement politique
Certains ont décidé d’aller plus loin et se portent candidats. «Si l’on veut vraiment changer les choses, il faut qu’on soit là où les décisions sont prises», explique Shaniyat Chowdhury, fils de Bangladais et ancien soldat marine de 28 ans, candidat démocrate au Congrès. Pour lui, si «l’ère Donald Trump est sombre pour les musulmans des Etats-Unis», elle a provoqué «une prise de conscience sans précédent qui a permis l’élection de Rashida Tlaib et d’Ilhan Omar, premières femmes musulmanes à accéder au Congrès.»
Comme Shaniyat Chowdhury, ils sont plus d’une centaine à se porter candidats, toujours pour le parti démocrate ou en indépendants, un record au sein d’une communauté jusqu’ici toujours sous-représentée en politique.
Une politisation qui résonne aussi parfois dans les mosquées. Les imams n’hésitent pas à parler de la situation actuelle dans leur prêche du vendredi. Suhaib Webb est l’un d’entre eux. Cet imam du centre des religions de l’université de New York est suivi par des centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux. Il appelle régulièrement à aller voter et à s’organiser au sein de sa communauté. «J’ai grandi dans les églises noires du Sud où il y a une grande histoire de politisation en raison du mouvement des droits civiques», explique ce converti. Pour lui, «le cœur de toutes les religions est la justice» et «avec Donald Trump, la justice sociale est en péril».
A suivre…
Donald Trump se sert de la religion comme d’un levier électoral. En cette année d’élection présidentielle, Réformés vous propose une série de reportages dans des communautés religieuses. Retrouvez tous nos articles en texte ou en audio sur www. reformes.ch/EtatsUnis.