Lytta Basset fait face à la perversion
Qu’il y ait des «pervers narcissiques» dans la vie de Jésus, pour Lytta Basset, cela crève les yeux: il en est même mort. Que l’on pense aux chefs religieux qui ne supportaient pas de limite à leur emprise sur les âmes, ou à Judas, traversé de forces de divisions intérieures si puissantes qu’il a commis l’impensable. Mais pas seulement: la théologienne se penche aussi sur ces personnages aux comportements peu nobles, qu’elle analyse comme ayant été d’abord des victimes de manœuvres perverses. Tel Hérode qui fit, contre son gré, décapiter Jean-Baptiste, ou Pilate qui ordonna l’exécution de Jésus contre son intuition personnelle. Mais que faire, aujourd’hui, de ce témoignage biblique dans notre vie quotidienne? Interview.
La perversion a l’air si courante... Est-ce le péché par excellence?
Le péché dans la Bible n’est rien d’autre que la rupture de relation, la non-relation. Il pose la question du rapport à l’Autre et à l’autre. Or, la fermeture à autrui et l’enfermement total portent en eux tous les débordements pervers. C’est là le noyau de l’attitude perverse: l’autre n’existe pas, j’élimine l’altérité, parfois jusqu’au meurtre comme Caïn. Cela nous menace tous parce que nous avons tous été blessés. Alors, plutôt que de soigner la blessure, on préfère couper la relation.
Faut-il donc tous aller voir un psy?
Ou bien faire un travail de conscientisation dans le cadre d’un accompagnement spirituel. Beaucoup le font grâce à leur conjoint, sans psy ni accompagnement spirituel. L’Esprit saint, le souffle de Dieu, fait ce qu’il veut! L’essentiel est: ne garde pas ta souffrance pour toi ou tu vas t’enfermer. Caïn était perplexe et il n’a pas voulu ou pas pu parler à Dieu de sa souffrance, ni de son sentiment d’injustice.
Vous n’hésitez pas à parler des «démons». Pourquoi?
Le destructeur de lien, les démons sont très présents dans la Bible. Quand j’en parle, les gens ricanent. Mais si on remplace l’expression par «forces de division» ou «forces de mort», plus personne ne rigole. Parfois ces forces sont si puissantes que rien n’y fait.
Malgré nos efforts thérapeutiques, il existe des situations où l’on se retrouve confronté à un mur. C’est l’échec du psy et l’impuissance de l’accompagnateur spirituel. Mais heureusement qu’il y a plus fort que nous! Nous pouvons invoquer plus grand que nous, et c’est ce que je fais avec l’imposition des mains et la prière de déliement Dans le nom de Jésus. Je la propose aux personnes que j’accompagne quand elles butent. Mais ce n’est pas non plus une potion magique, ça s’inscrit dans un accompagnement au long cours.
Que faire face aux abus, y compris sexuels, dans les Églises?
L’arme numéro un contre la perversion est la parole de vérité. Donc il faut commencer par croire la victime, car ça l’aide à mettre des mots sur son vécu. Elle s’écrit alors: «Enfin quelqu’un qui me croit!» Tout le travail qui est fait actuellement pour faire éclater la vérité devant la justice est excellent. Il faut aussi aider les personnes victimes à mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu et portent souvent encore en elles-mêmes.
Quelle est, au fond, la conviction qui vous anime le plus? Que rien n’est jamais fichu! C’est le message biblique de A à Z. Autant pour les victimes que pour les personnes perverses. Voyez l’autre malfaiteur sur la croix. Il a probablement tué. On est au cœur de la perversion: nier l’altérité jusqu’au meurtre. Or, si ce pervers-là a pu être «aujourd’hui» au paradis avec Jésus (car c’est le paradis que d’être avec Jésus), alors tous les espoirs sont permis. On ne sait jamais quels revirements de dernière minute des personnes perverses peuvent vivre sur leur lit de mort. Bien sûr, certaines expirent dans le désespoir le plus absolu, comme Hitler. Mais les autres? On ne sait pas. L’Esprit saint fait ce qu’il veut! Au final, la perversion n’aura pas le dernier mot. Il existe une vie plus forte que toute destruction. Celle de Pâques.
Reconstruction divine
Lytta Basset puise dans les scènes de la vie de Jésus des exemples pour nous aider à mettre en œuvre nos ressources spirituelles, communes à toutes et tous, croyants ou non, quand nous sommes la cible de manipulation perverse, qu’on la voit venir ou pas. Elle aborde ainsi très concrètement les possibilités qui s’offrent à nous d’écouter ceux qui nous mettent en garde, de rester en éveil face au mal qu’on préférerait nier. Elle éclaire l’indispensable travail de différentiation qui nous relie à notre vérité intérieure, notre capacité de compassion face à des personnes dont le comportement nous fait souffrir mais qui sont elles-mêmes prisonnières de grands tourments.
Et puis il y a la découverte, clé, fondamentale, incontournable, de cet «ego divin» qui coupe l’herbe sous les pieds à notre narcissisme blessé, et qui fait de nous des fils et des filles de la Vie. Ressource pour faire face à la perversion d’autrui, sans nous soumettre ni nous enfuir, mais également pour éviter de tomber nous-mêmes dans des comportements pervers qui pourraient devenir des habitudes. La paille et la poutre, dirait Jésus. De page en page, apparaissent les questions, lancinantes et douloureuses, de l’abus de pouvoir, de l’emprise, et des agressions sexuelles en milieu ecclésial. Crime spirituel s’il en est, le directeur de conscience prenant la place de Dieu dans la vie de sa victime, et ce même au nom de Dieu.
Mise en garde sévère pour les Églises, appelées à ne pas s’insurger contre le harcèlement moral dans l’entreprise ou le racket à l’école, si elles ne balaient pas devant leurs propres portes. En fin d’ouvrage, une question étonnante : peut-on rester en lien avec une personne perverse en toute connaissance de cause ? La réponse, lancée comme une perspective d’espérance: tout dépend du niveau de différenciation que l’on a atteint. M. L.-B.