Les baptistes du Sud voient le «jugement de Dieu» au travers de #MeToo

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Les baptistes du Sud voient le «jugement de Dieu» au travers de #MeToo

Yonat Shimron
31 mai 2018
Paige Patterson, éminent directeur d’un séminaire théologique baptiste, a écopé d’une retraite anticipée après des années de dénigrement des femmes
La colère gronde dans les milieux baptistes du Sud.

Photo: Paige Patterson © RNS/SWBTS

, RNS/Protestinter

Un jour après la mise à la retraite forcée d'un éminent directeur de séminaire pour ses commentaires déplacés sur les femmes, les baptistes du Sud règlent leurs comptes publiquement. La mise à la porte de Paige Patterson, directeur du Séminaire théologique baptiste du Sud-Ouest (SWBTS) à Fort Worth au Texas, a laissé libre cours à la colère et au ressentiment des fidèles. Non seulement, par rapport à ses commentaires sur les femmes maltraitées, mais aussi face aux efforts manifestes des administrateurs pour protéger sa réputation.

Tout en omettant de nommer Paige Patterson, Al Mohler, directeur du Séminaire théologique baptiste du Sud à Louisville au Kentucky, sonne l'alarme. «Je vois cela comme le jugement de Dieu sur une dénomination ainsi que sur tous les chrétiens. Ces dernières décennies, les questions d'abus sexuels et de mauvais comportements n’ont jamais été traitées correctement», explique Al Mohler. Le directeur souligne que l'impact du mouvement #MeToo sur la dénomination ne fait que commencer et «qu’ils vont découvrir que le problème est beaucoup plus répandu».

Il fait référence à des commentaires de Paige Patterson apparus dans un entretien en 2000 ainsi qu’à une de ses prédications de 2014 où il se vantait d'avoir un jour conseillé à une femme qu'elle devait rester avec son mari violent. Ces cas ont refait surface ces dernières semaines dans les médias. Le 22 mai, le Washington Post a rapporté qu'en 2003, Paige Patterson avait demandé à une étudiante de ne pas déclarer à la police un viol présumé et de pardonner à son agresseur.

Une mainmise conservatrice

Architecte de la mainmise conservatrice au sein la Convention baptiste du Sud dans les années 1980, Paige Patterson est aussi connu pour avoir utilisé sa position afin de repousser le féminisme et les mouvements de femmes. Il a aidé à rétablir un littéralisme biblique quant au mariage, à la famille et au rôle des femmes. Il a contribué à la création d’un amendement dans la déclaration de foi de la dénomination qui dit que «la femme doit se soumettre gracieusement au leadership domestique de son mari».

Mercredi 23 mai vers trois heures du matin et après treize heures de délibérations, l’administration du Séminaire du Sud-Ouest a publié une déclaration remerciant Paige Patterson pour ses contributions et son service au séminaire durant les quinze dernières années, tout en annonçant qu'ils cherchaient un nouveau directeur. Les administrateurs l’ont nommé président émérite, un nouveau poste accompagné d'une compensation financière qui n’a pas été divulguée. Ils lui ont permis de rester sur le campus en tant que théologien en résidence, dans une maison actuellement en construction.

Des pasteurs écoeurés

Pour certains baptistes du Sud, surtout de jeunes pasteurs, ce traitement avec des gants de velours est écoeurant. «Je trouve qu'on se moque franchement de nous», s'exclame Dean Inserra, 37 ans, pasteur dans la City church à Tallahassee, en Floride. «Ce plan de retraite était programmé, il a juste été accéléré. C'est vraiment frustrant. Cela renvoie un très mauvais message, non seulement aux femmes, mais aussi à tous les baptistes».

De son côté, Paige Patterson semble sans remords. Dans une lettre cosignée avec sa femme et envoyée mercredi aux étudiants et au personnel du séminaire, puis publiée dans le Washington Post, il a écrit: «Nous sommes bien évidemment blessés. Mais nous n'avons pas fait de compromis et avons encore nos voix pour témoigner». L’ancien directeur est censé prêcher, le mois prochain, à la conférence annuelle de la Convention baptiste du Sud à Dallas, même si beaucoup de pasteurs pensent que c’est désormais peu probable.

Les baptistes du Sud n'ont pas de hiérarchie formelle. Chaque Église est indépendante, de même que ses membres. Et certains expriment une loyauté féroce à Paige Patterson. «Il est injuste de le punir rétroactivement pour des remarques qu'il aurait faites il y a des années», relève Chris Thompson, pasteur et ancien chef du personnel alors que Paige Patterson était directeur du Séminaire théologique à Wake Forest, en Caroline du Nord.

«Je ne connais aucun pasteur ou conférencier qui serait prêt à répondre à des propos qu’il a tenus 18 ans plus tôt. ‘Qui est le prochain?’ Je me pose la question». Chris Thompson affirme que les commentaires de Paige Patterson par rapport à la femme maltraitée reflétaient son désir - même s'il s'est exprimé maladroitement – d’expliquer que la Bible condamne le divorce.

Les hommes dirigent

Les baptistes du Sud ne semblent pas être prêts à rejeter l'idée que seuls les hommes ont le droit de diriger à la maison comme à l'Église, même si les deux sexes ont la même valeur. Mais beaucoup de pasteurs estiment que le perpétuel dénigrement de Paige Patterson envers les femmes est une fausse application des enseignements bibliques. «Toute déclaration qui semble affirmer qu'une femme doit rester dans une situation d'abus ou qui dévalorise les femmes est théologiquement problématique», insiste Micah Fries, pasteur dans la Brainerd captist church à Chattanooga, au Tennessee.

Malgré quelques fidèles, nombre de baptistes trouvent la compréhension du rôle des femmes de Paige Patterson culturellement anachronique. D’anciens employés du Séminaire du Sud-Ouest racontent également qu'une des premières choses qu'il a faite quand il est arrivé sur le campus en 2003 a été de demander aux femmes de porter des jupes et des robes modestes (sauf les vendredis décontractés ou en été). L’ancien directeur a également évincé la professeure d'hébreu Sheri Klouda et l'historienne Karen Bullock parce qu’il pense qu’une femme ne doit pas enseigner aux hommes ou interpréter les Écritures.

Debra Smith, autrefois étudiante dans ce même établissement et maintenant membre d'une Église baptiste en Géorgie, critique les positions de l’ancien directeur. «Si les responsables d'Églises se servent de la Bible comme une excuse pour assujettir les femmes et les garder à leur place, je pense réellement qu’ils ont besoin de relire les Écritures. Jésus valorise les femmes, il les a protégées et glorifiées». Debra Smith est reconnaissante envers les personnes qui osent enfin dénoncer cette stigmatisation. «Mais il y a encore beaucoup de gens qui ne veulent pas faire des remous. Ils préfèrent retenir les soi-disant réussites de Paige Patterson».