Panser ses blessures en faisant du crochet

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Panser ses blessures en faisant du crochet

Liz Donovan
24 mai 2018
Un collectif aide les femmes africaines, réfugiées en Israël, à résoudre leurs traumatismes grâce à la pratique du crochet
Leurs œuvres ont été exposées récemment dans une galerie à New York.

Photo: © Rona Yefman

, Tel-Aviv, Israël, RNS/Protestinter

Le crochet est utilisé par les artistes pour réaliser des œuvres et par les artisans pour fabriquer des paniers et des vêtements. Mais il a aussi d’autres fonctions. Selon l'artiste israélien Gil Yefman, «il peut être un moyen de résoudre les traumatismes». Récemment, les œuvres de Gil Yefman ont été présentées à côté de paniers fabriqués par des femmes africaines cherchant l’asile en Israël, dans le cadre d’une exposition à New York intitulée «Violated! Les femmes pendant l'Holocauste et le génocide». L'exposition, organisée par l'Institut «Remember the women», s’est tenue à la galerie Ronald Feldman à New York, début mai.

Les visiteurs ont pu découvrir des œuvres d'art réalisées en Israël par des femmes africaines qui demandaient l'asile dans ce pays. Elles font partie de Kuchinate, un collectif qui aide les femmes migrantes, y compris de nombreuses victimes de violences sexuelles. Ce collectif les aide à gagner leur vie et à essayer de panser leurs blessures par l'art. «J'ai ressenti le besoin de collaborer avec ce groupe parce que nous faisons tous du crochet et nous utilisons cette pratique comme un moyen de résoudre nos traumatismes», a expliqué Gil Yefman. C'est un moyen idéal d'aborder des sujets graves et douloureux liés aux agressions sexuelles et à la violence, a-t-il ajouté.

Des tours en crochet

L'exposition présente le travail de plus de 30 artistes. Parmi les œuvres, on peut, entre autres, découvrir deux dessins réalisés dans des camps de concentration nazis et cinq tours fabriquées au crochet par les mains des femmes de Kuchinate et de Gil Yefman. Ces tours présentent des images illustrant des moments de la vie de chacune des femmes. À l’intérieur, on y trouve un enregistrement qui raconte une histoire personnelle de la créatrice de l’œuvre.

L’idée était de mettre en lumière les agressions sexuelles et les viols qui se sont passés pendant l'Holocauste et les récents génocides. Des thématiques rarement discutées. «Les femmes ont vécu ces épreuves différemment que les hommes, notamment à cause de leur vulnérabilité face à la violence sexuelle», a déclaré Rochelle Saidel, directrice générale de l'Institut «Remember the Women».

Environ 90% des quelque 38’500 demandeurs d'asile et réfugiés africains actuellement en Israël sont d’origine érythréenne et soudanaise, selon l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés. D'autres viennent du Nigeria, de la Côte d'Ivoire et d'autres régions d'Afrique. Beaucoup de femmes qui sont entrées dans le pays par l'est du Soudan et la péninsule du Sinaï ont été victimes de torture, d'agression sexuelle et de traite d'êtres humains. Actuellement, elles sont menacées de déportation par le gouvernement israélien.

Permettre l’émancipation

«J'ai veillé à ce que Kuchinate naisse du désir d'apporter une émancipation psychologique, économique et sociale aux femmes qui étaient dans un état de survie désespéré», explique la cofondatrice Diddy Mymin Kahn sur le site internet du collectif. Diddy Mymin Kahn, une psychologue spécialisée dans les traumatismes, dirige le centre avec Azezet Habtezghi Kidane, une religieuse érythréenne qui fournit un soutien spirituel ainsi que des conseils aux femmes. Azezet Habtezghi Kidane est connue sous le nom de Soeur Aziza. Avec Diddy Mymin Kahn, elles ont écrit un manuel de soutien pour les survivants de la torture.

Dans l'exposition, Rochelle Saidel vise à montrer les liens entre ce qu’ont vécu les survivants de l'Holocauste, les réfugiés et les demandeurs d'asile aujourd'hui. «Il y avait de la violence sexuelle pendant l'Holocauste, et ça continue actuellement. Certaines personnes le remettent encore en question». De son côté, Gil Yefman espère que davantage de femmes du collectif seront habilitées à utiliser leur art comme un moyen de partager leurs expériences personnelles et de s'exprimer librement. La collaboration a permis aux femmes de «sortir du collectif tout en donnant une meilleure visibilité aux activités du groupe».

Subvenir aux besoins de sa famille

Cependant, la plupart du temps, ces femmes font de l'artisanat pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. À l’atelier de Tel-Aviv, elles crochètent des paniers et d'autres objets utilitaires, comme des tapis et des tabourets à trois pieds. Elles les vendent au public pour gagner de l'argent. «Elles sont en mode de survie», a constaté Gina Walker, bénévole au Kuchinate et étudiante diplômée de l'Université de Tel-Aviv. Gina Walker étudie les migrations et les politiques mondiales. «Ces femmes se concentrent sur leurs ressources financières pour pouvoir nourrir leurs enfants». L’étudiante a souligné l’importance de la reconnaissance de la lutte de ces femmes, qui travaillent dans un état constant d'instabilité. «Pour la Pâque, nous avons célébré notre liberté, mais ces personnes ne sont pas libres».

Kuchinate signifie «crochet» en tigrinya, une langue parlée en Érythrée. L’atelier de Tel-Aviv est devenu une sorte de résidence secondaire pour les femmes africaines qui demandent l'asile. Assise sur un canapé, drapée d’un tissu aux motifs colorés et un crochet à la main, Favour Agbo inspecte de près un panier à moitié fini. Voyant une erreur dans l'artisanat soigneusement cousu, elle enlève sans difficulté quelques centimètres de ficelle et se tourne vers la femme assise à sa droite qui a demandé de l'aide. Lorsque la femme termine le petit panier plus tard dans l'après-midi, elle le brandit triomphalement, suscitant les félicitations des autres participantes.

La nature collaborative du collectif, ainsi que le côté apaisant du crochet, permet aux femmes de ressentir un peu de stabilité. Elles préparent du café traditionnel pour les visiteurs, cuisinent des plats à base de pois chiches et parlent leur propre langue. «L'argent n’a pas tant d’importance, car nous sommes heureuses», a déclaré Favour Agbo.