République centrafricaine: le décret gouvernemental ne circule que dans la capitale

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République centrafricaine: le décret gouvernemental ne circule que dans la capitale

Illia Djadi
27 octobre 2017
La violence en République centrafricaine a atteint un niveau critique
Des pillages, des agressions et des meurtres ont lieu dans presque tout le pays alors que de nombreuses personnes ont dû quitter leurs régions.

Photo: Les ruines d'une église catholique © Wordlwatch Monitor

, Wordlwatch Monitor

Je reviens tout juste d'une visite en République centrafricaine (RCA) - où il y a de nouveau un sentiment d'urgence. La sécurité s'est dramatiquement détériorée à travers le pays: le président Faustin-Archange Touadéra n'a pas réussi à établir son autorité au-delà de la capitale, Bangui, 18 mois après son élection. A ma grande surprise, j'ai vu des hommes armés à la croisée des chemins, en plein jour, dans un quartier près de l'aéroport international. Dans la capitale, les entreprises et les écoles fonctionnent assez bien. Dans l'un des épicentres de la violence, PK5, un quartier majoritairement musulman (la RCA est à 76% chrétienne et à 14% musulmane), les marchés et les magasins ont rouvert.

Mais quand j'ai quitté la route principale et que j'ai traversé une petite rue entre les maisons, les résidents étaient nerveux face à la présence d'étrangers dans leur voisinage. Alors que j'essayais de prendre des photos d'une église abandonnée, un homme qui prétendait être un responsable de la communauté locale a marché vers notre voiture. D'une voix ferme qui tranchait avec sa petite taille, il m'a dit que je ne pouvais pas prendre de photos dans sa zone résidentielle sans permission.

Mon compagnon local m’a expliqué plus tard qu'il n'avait pas conduit sur cette route principale pendant des mois. Des citoyens ont rapporté qu’au plus fort de la crise, beaucoup de ceux qui l'ont prise accidentellement ne sont jamais revenus - c'est devenu le «couloir de la mort». Plus tard dans la nuit, des coups de feu ont été entendus dans le quartier PK5, rappelant que la situation est encore fragile, même dans la capitale.

La sécurité reste le principal problème: la grande majorité du pays est contrôlée par des groupes armés. L'armée nationale a été dissoute en 2013 lorsque les rebelles Séléka ont pris le pouvoir. Jusqu'à présent, le processus de reformation et d'entraînement de la nouvelle armée a été lent. Cette vacuité de pouvoir a ouvert la voie à toutes sortes de violations des droits de l'homme, y compris le viol et l'extorsion. Un milicien m'a dit qu'il ne déposerait pas son arme tant que la nouvelle armée ne serait pas en mesure d'assurer la sécurité dans sa ville; il n'y a que trois policiers non armés dans le poste de police local.

Une catastrophe humanitaire

Le chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), Joseph Inganji, a spécifié que la République centrafricaine était dans une situation d’urgence qui pourtant tendait à être oubliée: plus de la moitié de la population (2,4 sur 4,6 millions) a besoin d'aide humanitaire. Selon l’OCHA, le pays a la charge de travail par habitant la plus élevée dans le monde, mais son financement est le plus bas: seulement 30% des 500 millions de dollars nécessaires ont été couverts.

La violence a atteint un niveau sans précédent cette année, affectant 14 des 16 régions, y compris certaines régions considérées comme sûres, à l'est et au sud. Les civils, y compris les enfants et les femmes, paient le prix le plus élevé. Joseph Inganji a souligné que 20% de la population avait dû se déplacer à l'intérieur et même à l'extérieur du pays. Les travailleurs humanitaires ont également été ciblés et les ONG ont été obligées de retirer leur personnel, laissant derrière elles des personnes ayant grandement besoin d'assistance. Joseph Inganji a critiqué les activités de nombreux groupes armés, en particulier les Anti-Balaka («anti-machette»). Mais son point de vue n'est pas partagé par tous.

Dans la ville occidentale de Bozoum, l'une des rares à jouir d'un sentiment de normalité malgré l'absence de gouvernement d'état, les miliciens anti-Balaka sont considérés comme des protecteurs et largement salués pour leur bravoure. Un responsable de la communauté locale m'a dit que l'arrestation et le meurtre d'un jeune chasseur par les rebelles Séléka au début de l'année 2013 ont marqué un tournant à Bozoum et dans les environs. A titre d'illustration, il signale la présence de plus de 3’000 personnes déplacées à l'intérieur du pays qui ont dû fuir la ville de Bocaranga contraint par un ex-groupe Séléka, 3R. Les rebelles ont également attaqué la ville voisine de Niem, faisant craindre que Bozoum puisse être leur prochaine cible.

Le travail de l’ONU critiqué

Il y a un fort sentiment de colère envers la mission de l'ONU qui consiste à maintenir la paix en RCA. De nombreuses personnes déplacées accusent les troupes de l'ONU d’être responsables de leur malheur, de ne pas en faire assez pour les protéger. De plus, beaucoup d’habitants soupçonnent certaines troupes militaires de l'ONU de complicité dans des attaques récentes, notamment dans les villes du sud-est de Gambo et de Zemio. Certains dirigeants communautaires demandent actuellement le retrait de ces troupes. Dans d'autres cas, les communautés locales ont essayé d'empêcher les troupes de l'ONU d'entrer dans leurs villes.

Lorsque j'ai rencontré l'un des trois principaux responsables religieux de RCA, le cardinal Dieudonné Nzapalainga, il m'a dit qu'il condamnait la violence en cours. Il a rappelé que ses deux collègues dirigeants de la plate-forme interconfessionnelle centrafricaine et lui-même avaient plaidé en faveur du déploiement des forces de maintien de la paix de l'ONU. «Malheureusement, nous avons remarqué leurs échecs et leurs limites sur le terrain. A plusieurs occasions, elles n'ont pas réussi à protéger ceux qui avaient besoin d'aide et un grand nombre de personnes est venu poser des questions sur leur rôle ou leur mandat», a-t-il précisé. Il a évoqué le même problème dans la ville de Kaga Bandoro, au nord du pays (à 350 km au nord de la capitale) après des affrontements meurtriers, en mars dernier.

Un fort sentiment de résilience

Il y a exactement deux ans, Nicolas Guérékoyamé, le président de l'Alliance évangélique, a échappé à la mort alors qu'un groupe de jeunes musulmans quittait le troisième arrondissement de Bangui et se ruait dans le cinquième arrondissement voisin, brandissant des armes automatiques et des machettes. Ils sont entrés dans l’enceinte de l'église Elim, où se trouvait la maison du président de l'Alliance évangélique. Il avait pu s’enfuir peu avant. La foule en colère a pillé tous les objets de valeur, avant de mettre le feu à la maison. Ils ont aussi saccagé d'autres bâtiments dans l'enceinte, y ont mis le feu et tiré au hasard. Deux personnes ont été tuées.

Un tout nouveau bâtiment a maintenant été reconstruit sur les ruines de sa résidence précédente. D'autres bâtiments ont également été bâtis, prêts à accueillir des salles de classe. L'entrée principale est désormais protégée par les forces de sécurité. Mais à environ 100 mètres dans la même rue se trouvent les ruines d'une église catholique. L'ensemble offre un triste spectacle; le bâtiment principal de l'église et ce qui semblait être des salles de classe ont tous été dévastés par le feu. Des plantes sauvages poussent tout autour. Même les restes d'une voiture calcinée n'ont pas été enlevés, comme si la vie venait de s'arrêter. En continuant le long de la rue, j'ai vu de plus en plus de ruines.

La violence a peut-être cessé à Bangui, mais elle a eu de lourdes conséquences, non seulement sur les bâtiments, mais aussi sur les personnes qui vivaient ensemble pacifiquement, indépendamment de leur origine ethnique ou religieuse.

Garder espoir

Un commerçant qui a perdu sa propriété et des biens valant plusieurs milliers de dollars cherche aussi un nouveau départ. Il était un riche concessionnaire automobile. Il a raconté comment son entreprise a été pillée aveuglément par divers groupes Séléka. A diverses occasions, il a essayé de les affronter, expliquant qu'il était un musulman, mais en vain. «Ils ne se soucient pas de qui vous êtes. Ils ne croient pas en Allah. Ils ne sont que des mercenaires et des prédateurs», a-t-il souligné.

Quand les rebelles Séléka ont perdu le pouvoir et se sont retirés de Bangui, d'autres pillards ont pris leur place, tels que des bandes de jeunes locaux. Certains ont été identifiés comme d'anciens soldats profitant de la vacuité du pouvoir. «J'ai tout perdu, mais il y a de l'espoir puisqu'il y a de la vie». La crise lui a permis de voir la vie avec une nouvelle perspective: il est devenu fermier. Un tremplin pour un nouveau départ, a-t-il dit. Sa devise: «Sababou», ce qui signifie «par la grâce de Dieu».

Et malgré les difficultés rencontrées par la grande majorité, il existe un fort désir d'aller de l'avant. Les sections locales veulent que leur gouvernement et la communauté internationale mettent fin à la violence actuelle. Mais ils n'ont pas perdu leur joie et leur bonheur: lors d'un office du dimanche à la même église Elim, plus d'un millier de personnes ont chanté et dansé dans une atmosphère joyeuse. Ils ont prié pour que Dieu guérisse leur pays et que la paix revienne rapidement.