Allemagne: les églises historiques accueillent les croyants issus d’Eglises conservatrices

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Allemagne: les églises historiques accueillent les croyants issus d’Eglises conservatrices

Holger Wetjen
1 septembre 2017
En Allemagne, l’homosexualité, l’ordination des femmes et la lecture historico-critique de la Bible motivent des protestants évangéliques à rejoindre les paroisses luthéro-réformées

Photo: L’inscription sur l’église luthérienne de la Rédemption (IXe de Paris) date de 1841. Aujourd’hui, les luthériens ne se désignent plus comme «évangéliques». ©Holger Wetjen

Qu’est-ce que la Bible? Révélation ou texte inspiré par Dieu? Est-ce que les hommes et les femmes sont pareillement appelés au sacerdoce? Est-ce que c’est l’Eglise qui bénit? Ou Dieu seul? Voici les questions auxquelles en Allemagne, les Eglises évangéliques de l’EAD (Alliance évangélique d’Allemagne) et les Eglises luthéro-réformées de l’EKD donnent actuellement des réponses très différentes.

La grande majorité des pasteurs luthéro-réformés de l’Eglise protestante d’Allemagne EKD— l’Eglise historique en Allemagne— considèrent que la Bible est un texte inspiré, mais qu’elle n’est pas tombée du ciel. Les pasteurs de l’EKD sont majoritairement d’accord pour bénir les couples homosexuels et approuvent la décision du parlement allemand de légaliser le «mariage pour tous». La plupart des paroisses luthéro-réformées pratiquent l’ordination des femmes. Prenant des positions libérales, les Eglises de l’EKD attirent un nombre de protestants venant d’Eglises dites évangéliques libres («evangelikal»). Les Eglises évangéliques libres perdent donc et du terrain et des fidèles, par un endurcissement dans leurs positions conservatrices: leurs ministres défendent majoritairement une lecture littérale de la Bible. Ils interdisent et l’homosexualité et l’ordination des femmes.

La grande question qui divise cœurs et esprits, et qui suscite souvent un débat très émotionnel: c’est l’homosexualité. Timo a 39 ans. Il vient d’un milieu évangélique: il a découvert son homosexualité dans sa première jeunesse, malgré l’interdiction de son milieu. A son avis, il existe dans ce milieu évangélique de nombreux homosexuels qui n’ont jamais vu de leur vie un seul couple homosexuel. La communauté religieuse se retranche dans l’interdiction de l’amour homosexuel et tabouise le sujet. On évite le contact avec les couples homosexuels. Ceux-ci deviennent un groupe diabolisé. Ainsi, un jeune évangélique qui découvre son homosexualité souffre parce qu’il se croit condamné aux enfers. Dans cette souffrance, la lecture littérale de la Bible est bel et bien un facteur: trois passages de la Bible interdisent l’homosexualité ou la décrivent comme un péché, l’exemple le plus connu étant le récit de la chute de Sodome et Gomorrhe. La conséquence pour les homosexuels issus du milieu évangélique: ils refoulent leur orientation sexuelle, évitent de lui donner un visage, se mentent à eux-mêmes. Ils se réfugient dans la solitude. Ils vivent dans l’angoisse de perdre un jour tout ce qui leur est précieux.

Le premier pas vers une acceptation de son homosexualité se fait souvent dans une paroisse luthéro-réformée de l’EKD. Parce que les plus pasteurs libéraux sont dans de nombreux cas les premiers à dialoguer avec les homosexuels du milieu évangélique. Ils leur disent: «tu es homosexuel. Et tu es juste.» Il est essentiel dans ce dialogue entre homosexuel évangélique et pasteur libéral que les deux abordent le sujet de la justification. Cela permet à l’homosexuel de découvrir qu’on peut être homosexuel et chrétien. Et il adopte une lecture plus prudente de la Bible: il commence à considérer que les passages de la Bible qui dénoncent l’homosexualité ont vu le jour dans un contexte socioculturel différent. Ils ne sont pas littéralement traduisibles dans la réalité des couples homosexuels d’aujourd’hui. D’autres personnes critiquent dans le milieu évangélique le fait que leur Eglise ne donne pas de possibilité aux fidèles d’évoluer sur un plan spirituel. Elles trouvent souvent un nouvel accueil dans une paroisse de l’EKD.

Témoignages

Timo, 39 ans, EKD

«Quand j’avais eu mon coming-out, j’ai fait l’expérience comme homosexuel et comme chrétien que ce sont les deux mondes qui ne se rencontrent pas. La première réaction positive dans ce conflit a été pour moi la consolation donnée par un pasteur protestant de mon entourage, auquel j’avais raconté mon histoire peu après mon coming-out. Il a été la première personne à me dire: “C’est OK. Toi, tu es OK. Accepte-toi!” Et cela s’est profondément gravé dans mon âme. Cette acceptation a été vitale pour moi. Autrement, je n’aurais su ni où aller ni comment continuer. Mais qu’il y ait là des gens qui m’acceptaient comme je suis, je n’aurais même pas pensé que c’était possible. Pendant de longues années, j’ai désiré entendre cette voix, qui me dit quelque chose comme ce pasteur m’a dit. Je viens d’un courant religieux qui continue de rejeter l’homosexualité.»

Ingrid Volkens, 64 ans, EKD, Kiel (Schleswig-Holstein)

«J’ai grandi dans un milieu strictement luthérien, dans une Eglise dite libre. Notre pasteur avait une orientation de base “conservatrice-dogmatique”. Cette Eglise libre défend une lecture littérale de la Bible. Il n’y a pas d’ordination de femmes.

Au moment de la préparation de mon bac, j’ai commencé à avoir des doutes. Ensuite, je suis partie pour faire mes études à Kiel. J’avais quitté mon ancienne Eglise libre, parce qu’elle ne me donnait pas la possibilité d’évoluer religieusement, avec mes questions et mes doutes. Après un long processus de séparation, je me suis rapprochée progressivement de l’EKD. Il y a cinq ans, j’ai adhéré. J’ai senti une plus forte obligation et une grande responsabilité envers cette Eglise.»

Andreas Lieder, 53 ans, EKD, Unterlüss (Hanovre)

«Je connais le pasteur luthérien Wilfried Manneke de l’EKD déjà depuis vingt-deux ans. En matière de foi, nous sommes d’accord. Pour moi, c’est un chrétien fidèle. Wilfried Manneke fait de bons cultes. Je ne vais plus au culte de l’Eglise évangélique parce que cette Eglise est assez conservatrice: elle est dominée par les vieux, et les vieux ne sont pas du tout capables de renouveler la paroisse. Il n’y a pas de jeunes, il n’y a pas d’enfants. Il n’y a ni école de dimanche ni aumônerie.

En revanche, le pasteur Manneke a bien soutenu notre association d’anciens buveurs. Nous essayons de rétablir les alcoolodépendants sur une base chrétienne. Par la méditation, la prière et l’étude biblique. Le pasteur Manneke nous a bien conseillés. Et grâce à lui, nous avons aidé beaucoup de personnes. Quelques-unes sont devenues chrétiens.»

Alexander Pfaffenroth, 86 ans, EKD, Unterlüss (Hanovre)

«Je connais l’église luthérienne du pasteur Manneke depuis longtemps. J’ai été en Afrique du Sud avec lui, deux fois. A Johannesburg et au Cap. Wilfried Manneke est un bon pasteur: il réfléchit à la manière dont les gens accèdent à la foi. Il dit: “si nous ne croyons pas en celui qui est mis en croix, en Jésus, nous sommes perdus”. Et il rend visite aux personnes âgées. Nous sommes luthériens et nous appartenons à l’EKD. En Allemagne, il existe beaucoup de lieux où l’on ne propose pas de culte particulier pour les luthériens de Russie. Ils vont donc au culte de l’EKD. Ici, beaucoup de fidèles vont au culte du pasteur Manneke. Moi-même, j’ai travaillé pour l’EKD de Hanovre. Parce que c’est l’Eglise Luthérienne.»