Les Eglises protestantes suisses dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale

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Les Eglises protestantes suisses dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale

11 août 2017
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les institutions ecclésiales protestantes se sont montrées pour le moins discrètes. Si certains s’engagent personnellement et soutiennent l’arrivée des réfugiés au cours du conflit, les organes décisionnels— à l’instar de la Commission synodale de l’Eglise nationale vaudoise— font preuve d’un «ouragan de prudence».

Photo: CC(by-sa) Japanexperterna.se

Par Laurence Villoz et Guillaume Henchoz

En janvier 1933, Le Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (NSDAP), parti d’Adolf Hitler, accède au pouvoir. Il peut largement compter sur les voix des électeurs protestants et sur l’appui de leurs Eglises. Sans s’affirmer comme chrétien, le NSDAP assume un virage conservateur et un retour aux valeurs chrétiennes. La peur du bolchévisme et une Eglise soutenant l’existence d’une nation allemande forte auront fait le reste. Au cours de l’année 1933, les Eglises protestantes fusionnent au sein d’une seule structure: l’Eglise protestante du Reich.

Des voix dissidentes se font cependant entendre. Un mouvement de contestation apparait sous la forme de l’Eglise confessante. Au mois de mai 1934, un groupe de pasteurs et de théologiens— à l’instar du Bâlois Karl Barth qui enseigne alors en Allemagne— publient la Déclaration de Barmen qui proclame que l’Eglise pas un organisme d’Etat. Mais les membres de l’Eglise confessante doivent faire face à la répression et le mouvement se disloque progressivement. Les leaders comme Martin Niemöller ou Dietrich Bonhoeffer sont arrêtés et déportés dans des camps de concentration.

Du côté de la Suisse, les réactions des organes protestants sont frileuses, voire même inexistantes. Dans son rapport d’activité de l’année 1934, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) garde ses distances avec l’Eglise confessante allemande qui incarne la dissidence: «L’intervention d’une Eglise dans l’organisation d’un Etat ou d’une autre Eglise n’est pas indiquée», peut-on y lire. En 1936, les Eglises protestantes de Berne et de Zurich décident de porter secours à leurs coreligionnaires allemands. Des personnalités importantes du protestantisme suisse se mobilisent également. Le pasteur et théologien Adolf Keller qui soutient l’Eglise confessante prend la tête du Comité suisse des Eglises protestantes en faveur des réfugiés protestants. A partir de la fin des années 1930, plusieurs organisations se portent au secours des membres de l’Eglise confessante ainsi qu’aux protestants d’origines juives qui sont inquiétés par le régime nazi.

Le cas du Canton de Vaud est assez emblématique. On y trouve alors l’Eglise nationale vaudoise proche des institutions politiques et l’Eglise libre. La seconde se montre plus engagée que la première lorsqu’il s’agit de prendre des positions en faveur des personnes persécutées par les nazis. Mais elle fait cavalier seul. Pour l’historienne des religions Nathalie Narbel qui signe un ouvrage sur les Eglises protestantes vaudoises et les réfugiés victimes du nazisme, Les Eglises suivent majoritairement la ligne fixée par les autorités fédérales: «L’attitude des Eglises protestantes suisses relativement au problème des réfugiés fuyant le nazisme est, dans un premier temps du moins, calquée sur la neutralité suisse: ne pas intervenir, ne pas prendre position, et justifier les mesures visant à se prémunir contre l’Überfremdung, la peur de la surpopulation étrangère». Son ouvrage «Un ouragan de silence» est paru en 2003. La chercheuse l’a publié sur mandat de l’Eglise réformée vaudoise qui a souhaité «faire la lumière sur les comportements d’alors afin d’en tirer des enseignements nécessaires pour aujourd’hui».

Si les protestants fuyant l’Allemagne trouvent au final un assez bon accueil auprès de leurs coreligionnaires helvétiques, les choses sont plus complexes lorsqu’il s’agit de réfugiés juifs. La chercheuse insiste sur un climat marqué par l’antisémitisme qui prévalait alors. Dans le Canton de Vaud, l’Eglise nationale vaudoise se montre beaucoup plus conservatrice que l’Eglise libre. On y trouve même des pasteurs qui affichent sans détour leur antisémitisme. «A quoi attribuer cette unanime levée de boucliers (…). A la puissance occulte du judaïsme qui ferait marcher tous les leviers de commande de l’opinion publique dans le monde», pouvait-on lire en avril 1933 dans Le Semeur vaudois, le journal financé par l’Eglise nationale vaudoise.

«Les réticences de certains protestants à l’égard des juifs proviennent sans doute de la confusion entre les préjugés de l’antisémitisme laïque, ceux de l’antijudaïsme chrétien et de l’anticommunisme qui se conjuguent pour façonner la méfiance, l’hostilité et parfois la haine. Ces réticences, partagées par beaucoup de leurs contemporains, ne sont certainement pas propres aux protestants», analyse Nathalie Narbel.

Par le biais de sa commission de secours aux réfugiés, L’Eglise nationale vaudoise contribue à soutenir les efforts visant à accueillir tous les exilés, mais elle tient un double discours difficile à décrypter: «L’aide aux réfugiés n’est pas considérée comme un problème fondamental, L’Eglise répète qu’elle ne soutenait que des personnes de confession protestante, écrit l’historienne. Ainsi elle délègue à ses ministres engagés auprès des plus démunis, la responsabilité de soutenir des personnes poursuivies en raisonne leur origine juive et qui cherchent refuge dans le Canton de Vaud.» A partir de 1942, des informations circulent autour de la solution finale que les nazis sont en train de mettre en place. Si un grand nombre de personnalités protestantes prennent la parole et agissent afin de soutenir les réfugiés et alerter les autorités politiques et ecclésiales, les institutions régissant les Eglises se murent dans le silence.

Vers la fin de la guerre pour, les Eglises protestantes de Suisse romande semblent enfin réagir et rédigent un message conjoint diffusé à la radio: «Sans abandonner les exigences de la justice, souvenons-nous que, devant Dieu, il n’y a ni Grec, ni juif, ni barbare, ni vainqueur, ni vaincu». «Il aura donc fallu des années de persécutions du peuple juif et un génocide et peut-être, comme pour le monde politique, la certitude de la victoire alliée, pour que les Eglises s’approprient réellement ce message», conclut Nathalie Narbel.

Des pasteurs antisémites

Né en 1907, le vaudois Charles Clot sera pasteur à la paroisse de Morrens avant de prendre en charge en 1944 celle de Saint-Livre jusqu’à sa retraite en 1972. Membre de la Ligue vaudoise et du Mouvement national suisse (MNS), Charles Clot n’a jamais fait mystère de son antisémitisme et de sa sympathie pour les idées nationales-socialistes. C’est un ministre très engagé note Nathalie Narbel: «Non content d’exprimer publiquement ses convictions politiques, Clot consacre tellement de temps à la direction du MNS qu’il doit se faire remplacer pour ses cultes dominicaux».

Charles Clot donne également des conférences publiques qui ne sont pas particulièrement appréciées par les autorités ecclésiales et politiques. Ce n’est pas tant son antisémitisme qu’on lui reproche, mais plutôt le fait de faire des vagues alors que la Suisse affirme sa neutralité. «A notre avis, il est infiniment préférable que les pasteurs s’abstiennent de faire de l’agitation à propos d’une question délicate et qui touche de trop près à la politique», peut-on lire dans un courrier du Chef de l’instruction publique et des cultes critiquant Charles Clot.

Le pasteur n’est pas seul. Il s’est lié d’amitié avec Charles-Louis Gagnebin qui occupe la paroisse de Saint-Saphorin. Les deux compères poursuivent le projet de conférence. C’est Gagnebin qui ouvre le feu en mars 1939, prononçant un discours des organisations ouvrières de la Fédération des corporations: «L’antisémitisme provient du fait que partout où le juif s’installe, il ne tarde pas à se rendre odieux et détestable», proclame-t-il devant ses auditeurs. Clot et Gagnebin se font remarquer par leurs prises de position à plusieurs reprises au cours de la Seconde Guerre mondiale. Mais la Commission synodale, l’organe exécutif de l’Eglise nationale vaudoise n’intervient pas et couvre ses pasteurs. «Ce soutien peut sans conteste être interprété comme un geste politique, révélateur d’un certain état d’esprit qui régnait en son sein», analyse Nathalie Narbel.

Des pasteurs engagés

Edouard Platzhoff-Lejeune a été une des sommités intellectuelles de l’Eglise nationale vaudoise. Pasteur et docteur en philosophie, il publie dans les années 1930 une série d’articles fustigeant l’antisémitisme. En 1943, il donne à La Tour-de-Peilz une conférence intitulée «le sort tragique des juifs à travers l’histoire». Tout comme ses homologues antisémites, Edouard Platzhoff-Lejeune fait l’objet d’une attention appuyée de la part des autorités politiques. Le Département de justice et police autorise la conférence en émettant cependant un bémol: «Il conviendrait de rendre le conférencier attentif au fait qu’il devra s’en tenir au sujet fixé et s’abstenir de toutes paroles blessantes ou outrageantes à l’égard des autorités suisses et des pays étrangers.»

Théophile Grin n’est membre d’aucune des deux Eglises réformées vaudoises. Pasteur consacré par l’Eglise missionnaire belge, il s’est vu refusé à l’agrégation de l’Eglise nationale. Il devient le rédacteur du mensuel «La Délivrance», revue de l’association sioniste homonyme. Grin est très actif dans le dialogue interreligieux et se fait le porte-parole des juifs persécutés dans le monde protestant. La Commission synodale soutient «La Délivrance», notamment par le biais de la présence du pasteur de la paroisse de Montepreveyres qui fait partie du comité de patronage. «Le soutien de la commission synodale à une petite association sioniste lui paraît inoffensif et lui donne bonne conscience, alors que l’antisémitisme avéré de certains de ces ministres ne semble aucunement ébranler cette conscience», écrit Nathalie Narbel.

Pour aller plus loin

Nathalie Narbel, «Un ouragan de prudence», Labor et Fides, 2003.