Editeurs protestants: faire entendre une voix différente
Comment vulgariser des idées en s’adaptant au langage d’aujourd’hui? Pour Labor et Fides, et l’édition protestante en général, l’enjeu est «énorme, immense», reconnaît Gabriel de Montmollin, toujours au conseil d’administration de la maison qu’il a dirigée, et à la tête du Musée international de la Réforme. «Le vrai défi, c’est de créer une relation avec un lectorat qui a moins de 40 ans. Il faut des modalités qui répondent à leurs habitudes culturelles.» Les sommes de 800 pages n’ont pas la cote. Et le niveau de culture religieuse est en chute libre, constate Eric Caboussat, responsable des éditions Cabédita (Bière, VD).
Le marché en soi ne se porte pas trop mal: Olivétan, à Lyon, a réalisé une hausse de ses ventes de 25% en 2021. L’Office protestant d’édition (OPEC), basé à Tramelan, a réalisé l’an dernier son meilleur chiffre d’affaires depuis 2017.
Edition subventionnée
La plupart des éditeurs protestants sont aidés, mais dans des proportions très différentes: 20% du budget de fonctionnement de Labor et Fides provient par exemple de soutiens publics et privés, «ce qui nous permet d’éditer des livres pointus et exigeants», assure Gabriel de Montmollin. L’OPEC voit son fonctionnement subventionné par les Eglises réformées. Ouverture, au Mont-sur-Lausanne, fonctionne surtout grâce à du bénévolat. Cabédita bénéficie du mécénat privé. Olivétan est soutenue par l’Eglise protestante unie de France.
Si les finances sont fragiles, elles se soutiennent. Le vrai problème, «c’est plutôt la crise du public protestant, en diminution constante», observe Vital Gerber à l’OPEC, qui édite notamment des manuels de catéchèse. Pour Olivétan, c’est différent. «Le protestantisme français a un réflexe de minorité très marqué: la décroissance de sa branche historique ne nous affecte pas trop. On perçoit plutôt des signes de croissance par le protestantisme de conversion ou d’immigration», estime Corinne Egasse, à la tête de la maison depuis un an.
Un autre défi est la pénurie de plumes. «En théologie protestante, je ne vois pas émerger de nouvelle génération, de nouveaux penseurs», s’interroge Gabriel de Montmollin. Même questionnement pour Maurice Gardiol du côté de la spiritualité. Si le temps manque pour lire, est-ce que les auteurs et autrices n’arrivent plus à écrire? Face à ces défis, les solutions sont multiples.
La coédition
Selon les textes, les éditions Ouverture misent sur leurs partenaires de l’OPEC, L’Aire, Olivétan ou Saint-Augustin. «C’est une manière d’élargir notre public et notre réseau», affirme leur directeur, Maurice Gardiol. Cela permet souvent aussi de «garder un auteur qui pourrait être tenté de publier ailleurs», reconnaît Gabriel de Montmollin. Parfois, la motivation est économique: «Nous avons coédité le commentaire du Pentateuque d’Antoine Nouis avec Salvator, car la fabrication de gros livres est une entreprise lourde», pointe Corinne Egasse chez Olivétan. C’est aussi une solution pour «essayer des formats mixtes et actuels», remarque Vital Gerber.
Evénements et partenariats
C’est une grande source de créativité: l’OPEC a publié des livres et des DVD issus des spectacles pour enfants des Théopopettes, pour poursuivre la réflexion après le show. Les éditions Ouverture ont coédité un livre en lien avec un spectacle créé par Christian Vez. Plusieurs autres titres donnent lieu à des lectures musicales en divers lieux… Labor et Fides nouera notamment aussi des synergies avec le MIR pour fêter ses 100 ans en 2024. Autre piste amorcée par Maurice Gardiol: une résidence d’écriture cofinancée par plusieurs maisons d’édition. Autant de solutions pour faire vivre et entendre autrement des textes qui déplacent intérieurement.
Les nouveaux formats
Les formats courts sont adoptés par toutes les maisons d’édition: la collection «Parole en liberté» imaginée par Cabédita veut vulgariser la matière biblique «le temps d’un aller-retour en train entre Genève et Lausanne», explique Eric Caboussat. Bilan: 40 000 exemplaires vendus en six ans. Ampelos, dans sa collection «Résister», publie, sur une centaine de pages, des portraits de figures protestantes marquantes. Chez Labor et Fides, les titres des collections récentes «Lignes intérieures» et «La petite bibliothèque de spiritualité» peuvent atteindre des ventes de 10 000 exemplaires, là où 3 ou 5000 sont déjà un succès pour la maison. L’idée, ici aussi, est de proposer une réflexion spirituelle et accessible. Mais les commentaires bibliques se vendent toujours bien, assure Corinne Egasse (Olivétan): «L’enjeu est de proposer une réflexion prenante, dépoussiérée, qui tienne compte de l’actualité sociétale, géopolitique et qui nourrisse une réflexion toujours renouvelée.» Il s’agit donc de changer de langage. Quitte à délaisser parfois l’approche religieuse pour recourir aux valeurs du protestantisme: ce qu’a fait l’OPEC avec un livre pour enfants sur la migration, «qui rayonne aussi dans les écoles», glisse Vital Gerber. Le piège, note-t-on chez Olivétan, serait de «céder à une littérature d’expérience personnelle, trop vite lue, larmoyante». Vulgariser donc, sans perdre en rigueur.
Le digital pour la diffusion
Les livres en version digitale? Une expérience «pitoyable», affirme-t-on chez Cabédita. Même son de cloche chez Olivétan et Labor et Fides. «L’atout du digital, c’est la distribution: notre site génère un tiers de nos ventes, après les librairies et les réseaux d’Eglise», estime Corinne Egasse. Pour l’OPEC, le web a surtout conduit, dans un esprit de complémentarité, à accorder «plus de soin à la production papier, pour faire du livre un bel objet».