Linn Levy en quête des «pourquoi»
«Dans cette époque de la performance, j’aime le retard, les gens qui prennent du temps. Les perdants magnifiques, aussi, ceux qui doutent, les humbles, ceux qui croient peu en eux, ceux qui cherchent. J’aime la marge, en somme», déclare Linn Levy en s’installant à une terrasse de café genevois, non loin des studios de la RTS où elle travaille depuis cet été à la présentation de Faut pas croire, émission coproduite par la RTS et les services de médias protestants et catholiques Médias-pro et Cath-info. Déposant devant elle un marron ramassé par terre, une petite découverte qui la fait redouter le départ des beaux jours, la journaliste se réjouit d’être le nouveau visage de l’émission de la première chaîne romande consacrée «au décryptage de l’actu sous l’angle éthique, philosophique et spirituel».
«Un espace de réflexion, d’analyse et d’approfondissement est plus que jamais nécessaire», relève-telle, avec une soif apparente d’y prolonger une quête de sens personnelle. «Dans nos sociétés qui poussent à la simplification, aux réponses toutes faites, à l’uniformisation et à la norme, il est plus que jamais vital d’avoir encore, dans l’espace audiovisuel, la possibilité de s’arrêter sur d’autres points de vue et d’aller voir hors des balises, en donnant moins de réponses que l’on n’y pose de questions. Cette émission est un trésor.»
Ne faire qu’apprendre
«Les mots ont d’abord été ma famille. Entre mes grigris de petite fille, le réconfort, pour moi, passait par ces passages de livres écornés dont la lecture me rassurait», raconte la jeune femme née à Anières, d’un père fribourgeois et d’une mère gréco-suédoise. Au milieu de deux sœurs et au sein d’une famille «très famille», Linn Levy, qui quitte la campagne pour rejoindre Genève à l’âge du collège, se caractérise très tôt par deux moteurs fondamentaux qui deviendront bientôt existentiels: le goût pour l’écriture et un besoin intarissable d’apprendre.
Ses études sont pour le moins brillantes: un bachelor et un master à l’Institut des Hautes études internationales, et un deuxième master en philosophie politique à la London School of Economics. Ses sujets de prédilection vont avec le prestige de ses titres académiques: le pouvoir politique, les droits de l’homme ou l’Extrême-Orient. Dès lors, la suite semble logique: «Pour une personne curieuse de tout, le journalisme était la meilleure voie. D'un coup de fil à un ministre étranger à la recherche poussée sur une question géopolitique, depuis le début de ma carrière, je n’ai fait qu’apprendre.»
Linn Levy fait ses premières armes dans la presse écrite. Un stage d’été à La Liberté – «où les premiers entrefilets que j'ai écrits traitaient tant de la famine en Corée du Nord que des rencontres des bus VW et des Coccinelles à Château d’Œx» – et un autre au Monde diplomatique, un stage «à la française», où le service des cafés remplace un peu l’écriture et l’analyse… Une expérience qui pousse à l’humilité, de la même façon que sa mauvaise mémoire qui, malgré des sujets qui la touchent, l’entraîne un jour à se la rafraîchir et à relire un article sur un sujet qu’elle potasse avant de se rendre compte… que l’article en question avait été écrit par elle-même! Rien toutefois qui ne l’empêche de rester six ans dans la même rédaction. La politique internationale reste son sujet de prédilection, même lorsqu’elle se met à écrire pour La Tribune de Genève, où on va aussi lui proposer de lorgner sur l’art contemporain, qui deviendra indispensable à sa vie.
Entre alors la littérature, qui pourtant n’est jamais sortie de sa vie privée et intellectuelle. «Depuis la découverte de Sartre, d’Elie Wiesel ou de Proust, un peu trop jeune peut-être, j’ai fait des écrivains et des philosophes mes maîtres et maîtresses à penser», confie celle que les livres de Zadie Smith émerveillent et que la posture d’une Chloé Delaume, «jamais là où on attend une femme écrivain, intellectuelle et penseur», fascine définitivement. Linn Levy est chroniqueuse dans les émissions culturelles TV et radio, et passe notamment par La puce à l’oreille ou Vertigo, qu’elle présente quelques fois, ainsi que dans Versus lire, «où le luxe ultime est d’y passer une heure en tête à tête avec un écrivain». Cette admiratrice de Houellebecq y fait alors des rencontres qui la marquent, comme avec le français Emmanuel Carrère ou le Genevois Jean-Jacques Bonvin, dont elle affectionne la propension «au trash, à la déambulation et à la nudité des mots».
Agnostique
Mais maintenant qu’elle a pris les rênes de Faut pas croire, Linn Lévy promet avec sincérité qu’une émission culturelle lui aurait moins plu que ce nouveau pari. Juive, «sans être croyante», la journaliste définit avec poésie et passion ce qui la meut dans cette suite de carrière. Le point de vue politique, rectiligne, puis celui des artistes, plus mouvant, tout semblait la mener vers un programme où s’avouer n’être sûr de rien. «Je suis en quête. Il n’y a pas d’intention, de sens, de nom, de direction précise pour moi. Mais il y a un désir. Une volonté d’aller vers quelque chose. Je suis une agnostique. Et donc, je me soumets à ma condition d’humaine forcément limitée, qui doit chercher vainement à répondre aux pourquoi.»
Arrivée à l’animation de l’émission le 29 août et succédant à Aline Bachofner, présente en coulisses lors de sa première, Linn Levy s’est intéressée aux «chrétiens chlorophylles», ces croyants que l’avenir et la santé de la Terre concernent particulièrement, un numéro suivi par un autre consacré au Rabbin des «Marranes», ces juifs portugais convertis de force pendant l'Inquisition. . La semaine dernière, l’émission, intitulée «Vivre sans se toucher», auscultait notre rapport au corps forcément modifié par l’actualité et les mesures de distanciation. Trois premières émissions où Linn Levy se plaît dans la modération de débats, ce qu’elle se réjouit de pouvoir refaire très prochainement, mais avec une intention précise: «N'avoir que des experts , ce n’est pas ma démarche», promet-elle dans une optique rassembleuse: «Je veux montrer tous les points de vue.»
RTS religion s’offre un mariage de raison
Au sein du service public, les services de médias protestants et catholiques Médias-pro et Cath-info renforcent leur partenariat, fruit d’une longue histoire commune en terres romandes. De l’émission Racines à A vue d’Esprit, en passant par la minute œcuménique, ces institutions se partagent en effet depuis 1964 les mêmes ondes et canaux de diffusion.
Lundi 8 septembre, lors d’une conférence de presse à Lausanne, les deux institutions ont annoncé avoir décidé d’intensifier encore leur partenariat œcuménique, en n’ayant plus qu’un seul producteur par émission, et non plus un représentant de chaque confession. Chaque producteur sera ainsi responsable de la direction du magazine dont il a la charge au nom des deux institutions.
«C’est probablement une première à l’échelle européenne», se réjouit Michel Kocher, directeur du service protestant Médias-pro. Le signal se veut fort: privilégier les compétences professionnelles aux appartenances confessionnelles. La mission que se donne les deux institutions est clair: «Sortir le fait religieux de sa boîte noire».
À l’assaut de la toile
Baptisée «Horizon 20-20», cette réorganisation veut également s’attaquer à une autre nébuleuse obscure, le numérique. Pour ce faire, un département digital a été inauguré au 1er septembre, dans le but de créer des contenus spécifiques pour la Toile afin de dynamiser la présence web de RTS religion: «un virage numérique» essentiel aujourd’hui.
Actuellement, RTSreligion présente, outre les offices religieux radiodiffusés et télévisés, plusieurs émissions magazine sur les ondes de la RTS: La Chronique de RTSreligion (La Première, du lundi au vendredi, 6h23), Faut pas croire (RTS Un, samedi, 13h15), Babel (Espace 2, dimanche, 11h) et Hautes Fréquences (La Première, dimanche, 19h).