Et si l’apôtre Paul n’était pas celui qu’on a cru?

Paul de Tarse peint par Valentin de Boulogne / Wikimedia commons
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Paul de Tarse peint par Valentin de Boulogne
Wikimedia commons

Et si l’apôtre Paul n’était pas celui qu’on a cru?

Dans «Paul de Tarse, l’enfant terrible du christianisme», le bibliste et historien vaudois Daniel Marguerat déconstruit l’image rigoriste, sexiste ou encore antijuive que l’on prête trop souvent à l’auteur des Epîtres du Nouveau Testament.

Figure incontournable du christianisme, l’apôtre Paul a joué un rôle capital au Ier siècle dans la diffusion de ce qui n’était pas encore une religion. Si on lui doit la plupart des Epitres du Nouveau Testament, qui posent les premières bases de la théologie chrétienne, l’apôtre pâtit cependant d’une fort mauvaise réputation. Tour à tour, on le dit colérique, doctrinaire ou encore hostile tant aux femmes qu’aux juifs. Une caricature que déconstruit aujourd’hui l’historien et bibliste Daniel Marguerat dans son nouvel ouvrage intitulé «Paul de Tarse, l’enfant terrible du christianisme» (Ed. du Seuil).

C’est en croisant sa pensée et sa vie que l’universitaire protestant est parti à la rencontre de l’humain derrière les textes – non pour les éluder mais pour mieux en saisir le sens. De son rôle de persécuteur des premiers chrétiens à sa position de formateur des toutes jeunes communautés, en passant par son éclatante conversion sur le chemin de Damas, Daniel Marguerat retrace le parcours d’un homme saisi littéralement par la grâce de Dieu à l’endroit de tous les hommes. Interview.

L’apôtre Paul n'est de loin pas une figure inconnue du christianisme, or il n’en est pas moins méconnu, écrivez-vous.

Effectivement, si Paul est une des figures les plus célèbres du christianisme, il reste mal compris, car nous le lisons filtré par deux millénaires de tradition. Or, au cours de ces deux mille ans, se sont accumulées des caricatures qui le présentent comme antiféministe, colérique, doctrinaire, intransigeant, et même antisémite. C’est ce que j’appelle le «Paul de seconde main».

Ce livre s’apparente-t-il donc à une tentative de réhabilitation?

J’ai voulu lui rendre justice en revenant à ses écrits, et pour aller au-delà des caricatures. Pour comprendre sa pensée, il fallait aussi croiser ses écrits avec sa vie, car derrière tout écrit il y a toujours un être qui saigne, qui souffre, qui désire, qui milite... J’ai donc relu Paul à partir de la vie tourmentée qui fut la sienne, une vie difficile et périlleuse de missionnaire.

Quel visage avez-vous alors découvert?

Nous considérons souvent Paul comme un héros solitaire, or j'ai découvert à quel point c'était un homme de contact et de réseau. J'ai dénombré dans ses écrits 43 noms de collaborateurs et de collaboratrices, dont 21 femmes. Il a non seulement créé un réseau de communautés qui s’étend sur des milliers de kilomètres carrés; il a aussi formé nombre de collaborateurs et collaboratrices qui ont poursuivi, après sa mort, cette entreprise missionnaire impressionnante.

Qu’en est-il de son rapport aux femmes?

En revenant à ses écrits, j’ai constaté à quel point l'accusation d'antiféminisme était tout simplement fausse. Evidemment, Paul n'est pas un féministe au sens moderne du terme. Il a cependant joué un rôle de pionnier, en créant des communautés religieuses dans lesquelles hommes et femmes étaient à égalité de valeur et de droit. Les femmes chrétiennes avaient accès à des rôles qu'on dirait aujourd'hui ministériels. Plus largement, il est le seul, dans le monde du premier siècle, à mettre sur pied des communautés religieuses dans lesquelles tous les baptisés avaient égalité de valeur.

Paul a pourtant la réputation d’être également antijuif…

Si la tradition a fait de Paul l’antijuif de service, celui-ci n'a pourtant jamais estimé sortir du judaïsme.

Pour lui, la tradition juive, celle du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, passe par la venue du Messie Jésus  – quand bien même on ne l’attendait pas ainsi, mort en croix. Le divorce entre christianisme et judaïsme ne s'est pas produit avant le IIe siècle, soit plus de cinquante ans après la mort de Paul. Du temps de l’apôtre, les deux religions n’étaient pas encore séparées.

Comment comprendre que son image a été autant déformée? 

La première raison est qu’on a lu Paul au travers de sa réception. Or, il y a eu méprise sur les textes. Contrairement aux idées reçues, ce qu’on appelle les épîtres pastorales – les deux épîtres à Timothée et l'épître à Tite – n’ont pas été écrites par Paul, mais par ses disciples, une trentaine d'années après sa mort. Or, ces épîtres pastorales durcissent le ton, notamment en ce qui concerne les femmes. Elles, et non l’apôtre, sont antiféministes. La deuxième raison est que le patriarcalisme de la société s’est saisi de Paul en ne citant que des versets appuyant leur position sur le sujet; de même, les Pères de l’Eglise ont brandi ses écrits dans une campagne antijuive.

Quelle était la perception qu’en avaient ses contemporains?

Paul est une personnalité polarisante. Il est passionné, entièrement engagé dans ce qu'il fait. Il met autant de force et d'énergie à être le diffuseur de l'Évangile qu'il l’était auparavant à défendre la doctrine pharisienne. Paul a été, déjà au premier siècle, l'apôtre le plus adulé et le plus détesté. Il a été encensé par les collaborateurs qu'il a formés, qui ont rassemblé ses épîtres et maintenu son héritage. Mais aussi le plus détesté, déjà de son vivant, notamment par l'Église de Jérusalem, entraînée par Jacques, frère du Christ, qui a développé une contre-mission dans les communautés pauliniennes.

Vous-même, vous en parlez comme de «l’enfant terrible du christianisme», pour quelles raisons?

C'est un théologien dérangeant, parce qu’il pense l'identité chrétienne avec tellement de force, tellement de radicalité, qu’il vient réveiller la conscience chrétienne. Il dérange un christianisme endormi. Il n'est cependant ni moralisateur, ni doctrinaire. On lui a soumis de nombreux cas de désaccords, de conflits moraux ou doctrinaux; jamais il ne tranche en disant «c'est ainsi et pas comme ça». Il appelle toujours au discernement, à partir de la nouvelle identité que le Christ nous donne.

Et que nous enseigne-t-elle précisément?

Pour Paul, la personne croyante vit d’un don inouï: l’accueil que Dieu lui réserve, un accueil inconditionnel. En se fondant sur ce don, nous pouvons nous ouvrir à l'autre et trouver avec lui une manière de gérer nos désaccords. Autrui n’est plus un danger, mais un être à reconnaître dans sa différence. Non, décidément, Paul n’est pas un homme du passé. Il ouvre un avenir dans une société fermée et intolérante.

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Daniel Marguerat, bibliste et historien vaudois.
DR