Noël est-il encore possible en entreprise?

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Noël est-il encore possible en entreprise?

13 décembre 2024
A l’heure où les entreprises jouent de plus en plus la carte de l’inclusivité, jusqu’à réfléchir à installer des toilettes non-genrées, qu’en est-il de Noël? Enquête auprès de plusieurs grandes entreprises privées ou publiques de Suisse.

A l’approche des Fêtes, difficile de trouver une entreprise qui ne proposerait pas une petite agape et quelques coupes de champagne à ses collaborateurs. A La Poste, entreprise de droit public, «un repas en décembre est organisé» renseigne la porte-parole Nathalie Dérobert-Fellay, «au même titre qu’un barbecue en été». Du côté du privé, d’autres entreprises interrogées confirment qu’elles organisent quelque chose en fin d’année. «Chez Philip Morris, nous organisons une fête avec tous nos collaborateurs», indique Catherine Mutter, directrice du Département des services généraux. Chez Nestlé, on propose «un Noël des enfants, soit un aprèsmidi d’animations pour les enfants des collaborateurs», mais aussi «un lunch avec un menu festif ou encore une soirée de fin d’année peu avant Noël», précise Sonia Studer, responsable des ressources humaines.

Mais que célèbrent ces entreprises à cette période de l’année? La fête chrétienne? A La Poste, «il n’existe pas de directive concernant la mention ou non de Noël. Toutefois, la fête consiste avant tout à remercier les collaborateurs». Son de cloche presque identique chez Philip Morris, où on parle exclusivement de «fête de fin d’année»: «C’est un événement nonreligieux et facultatif qui se veut respectueux de la diversité et inclusif.» Catherine Mutter indique également que «c’est l’occasion d’honorer la contribution des collaborateurs et de les remercier pour leur travail dans une ambiance informelle, festive et chaleureuse. Cela permet de renforcer les liens entre eux et avec l’entreprise.» Chez Nestlé, on ajoute que «ces moments célèbrent la fin de l’année écoulée». Et Sonia Studer de reconnaître que «sans être spirituels, ces temps festifs sont bien sûr ancrés dans un héritage culturel, un esprit de Noël flottant dans les bureaux en cette période».

Une Bible chez Aligro

Auteur d’une thèse sur l’expression de la religion au travail, le juriste lausannois David Zandirad relève pourtant qu’il existe une certaine liberté à ce sujet en Suisse: «Dans le privé comme dans le public, une fête de Noël est possible tant que son caractère n’est pas prosélyte et qu’elle respecte la liberté religieuse de chacun – avec tout de même une plus grande souplesse dans le privé.»

Néanmoins, chez Aligro, on pourrait croire qu’on flirte avec la limite. En effet, chaque année, en plus de «la présence d’un Père Noël pour les enfants lors d’une collation, il est proposé aux personnes qui le désirent de recevoir une Bible dans leur langue ainsi qu’un calendrier chrétien», indique Samuel Ribagnac, pasteur et aumônier évangélique engagé depuis une vingtaine d’années par le géant agroalimentaire helvétique. Une proposition pour le moins atypique, «voulue par les fondateurs de l’entreprise, eux-mêmes des chrétiens pratiquants». Ce qui, selon Samuel Ribagnac, «n’empêche pas les employés musulmans ou d’autres confessions de se joindre avec plaisir à la fête».

Pour David Zandirad, l’ancrage chrétien revendiqué d’Aligro ne poserait pas de problème au regard de la loi: «A ce stade, aucune jurisprudence du Tribunal fédéral n’a tranché l’admissibilité des fêtes de Noël organisées dans les entreprises privées.» Selon ses recherches, «seule l’installation d’une crèche dans l’enceinte d’une mairie en France a provoqué un contentieux juridique». Car si les décorations de Noël, des sapins aux illuminations, n’ont pas à proprement parler de caractère religieux, «la représentation de la naissance de Jésus peut sembler discutable si l’on souhaite respecter un cadre laïc».

En France, le Conseil d’Etat avait conclu que «l’installation temporaire d’une crèche n’est légale que lorsqu’elle présente un caractère festif, artistique ou culturel, mais est illégale si elle exprime la reconnaissance d’un culte ou une marque de préférence religieuse». Et en Suisse? «Noël est presque redevenu une fête païenne, il n’existe donc pas trop de risques de voir les rares crèches interprétées comme des éléments prosélytes», note David Zandirad. Chez Nestlé, on y voit toutefois un signe de religiosité, «et on éviterait de proposer cette idée». Dans le public, à La Poste, «seul le non-respect de la sécurité empêcherait la mise en place d’une crèche», souligne Nathalia Dérobert-Fellay. Tandis que chez Aligro, Samuel Ribagnac dit n’en avoir jamais vue, même si «ce serait tout à fait possible». Toutes ces entreprises insistent sur l’absence de teneur religieuse de leurs décorations de Noël. Catherine Mutter précise d’ailleurs que «chez Philip Morris, les décorations installées à l’intérieur et à l’extérieur sont uniquement là pour insuffler une ambiance festive et joyeuse».

Religion au travail

Pour autant, le Noël très laïc des entreprises n’empêche pas une grande ouverture à la religion de chacun des employés. A la Migros, le porte-parole Tristan Cerf indique que «150 nationalités et autant de cultures composent le personnel. Le respect des différences étant la règle, il peut donc arriver que des employés musulmans en invitent d’autres à casser le Ramadan autour d’un goûter, sans que cela ne soit mal vu ou ne pose un problème.» Chez Philip Morris, «chacun est libre de croire, de pratiquer et de s’exprimer» sur le plan religieux. Et si chez Nestlé on dit «respecter les croyances de chacun», chez Aligro, «un local est mis à disposition des employés afin qu’ils puissent aller s’y recueillir ou prier», témoigne Samuel Ribagnac.

Autant d’usages que David Zandirad rappelle être tout à fait légaux: «Rien ne s’oppose à ce qu’une personne possède des images pieuses dans ses espaces personnels, comme dans un casier. Il est également admissible de dérouler un tapis de prière dans son bureau à l’écart des regards.» Et le juriste d’aller plus loin: «Si un employeur privé, qui n’est pas tenu par le principe de laïcité, organisait une cérémonie purement religieuse, il y serait tout à fait autorisé. L’important est de ne forcer aucun employé à y prendre part et de n’entreprendre aucune démarche de représailles en l’absence de participation.»

"Dans le privé comme dans le public, une fête de Noël est possible tant que son caractère n’est pas prosélyte et qu’elle respecte la liberté religieuse de chacun – avec tout de même une plus grande souplesse dans le privé.

Un soutien spirituel au travail

La religion peut parfois ajouter du sens là où le travail n’en fournit plus. Dans le canton de Vaud, les Eglises catholique et réformée mettent à disposition, gratuitement, plusieurs ministres prêts à accueillir la parole d’employés issus de tous les milieux professionnels. Le pasteur Nicolas Besson (photo DR) est «aumônier du monde du travail» et se déplace vers quiconque en fait la demande.

Ces dernières années, avez-vous vu la santé au travail décliner?

Oui, notamment à cause du tout-informatique, qui crée des difficultés aux professionnels dans les situations de vulnérabilité. Dès lors que le moindre contact se fait aujourd’hui par le relais de l’informatique, il y a une forme de barrière qui s’est formée dans la communication humaine, pourtant essentielle au bon déroulement du travail et au bien-être des travailleurs.

Comment utilisez-vous la foi ou la spiritualité pour aider quelqu’un qui souffre au travail?

En ne résumant pas la personne à son utilité. «Dieu est celui qui veut que je sois», et ce pas uniquement au travers de ma potentielle productivité au travail. Je pense que la spiritualité est notamment là pour déjouer cette croyance très ancrée selon laquelle on n’existe que par ce que l’on fait et gagne.

Qui fait appel à vous?

Tout un chacun, croyant ou non. Je parle avec des patrons qui sont très ouverts et veulent se montrer humains dans leur gestion des collaborateurs. Je rencontre des salariés en perte de sens. J’accompagne également des personnes en insertion ou réinsertion professionnelle à la suite d’une crise personnelle ou d’un épisode de migration.