A la magie de Noël, ils préfèrent l’espérance
Si la période de Noël n’est pas de tout repos, elle l’est assurément encore moins pour les différentes Eglises du pays, qui se mobilisent toutes pour que la fête soit aussi belle que spirituelle. Rencontre en coulisses avec l’évêque du Diocèse Lausanne-Genève-Fribourg Charles Morerod, nouvellement élu président de la Conférence des Evêques suisses pour 2025-2027, et le pasteur Pierre-Philippe Blaser, président de l’Eglise réformée fribourgeoise (EERF) et vice-président de l’Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS).
En tant que bergers du troupeau, comment abordez-vous ce temps si particulier?
P.-P.B.: En Eglises, c’est un temps qui nous préoccupe énormément car nous sommes conscients qu'il y a une forte attente des familles vis-à-vis des célébrations et activités que nous pouvons proposer. Chaque année, c'est à la fois une immense stimulation et en même temps un défi, parce que l’on sait que ces jours-là on accueille aussi à des gens qui ne sont pas des habitués ou viennent rarement à l’Eglise.
C.M.: Chaque fête religieuse nous invite à une espèce de prise de conscience répétée et renouvelée. On peut penser que tout le monde sait ce qu’est Noël, mais on n’en épuise jamais complètement le sens. Il est facile d’oublier que Dieu est venu parmi nous, de nous y habituer. Il est bon de se le rappeler et j’aime que l’on puisse le faire ensemble. Car tout de même, cela change l’histoire!
Justement, qu’avez-vous encore à dire sur le sens de Noël?
C.M.: Le défi principal est d’arriver à partager que la naissance du Fils de Dieu en tant qu’homme est un événement unique, mais pas fermé sur lui-même. C’est pour ce qui suit qu’il est venu. Le pape Benoît XVI avait d’ailleurs inauguré son pontificat en disant que la vie chrétienne ne commence pas avec une grande idée ou une morale, mais par la rencontre avec une personne: Jésus, que l’on nomme aussi Emmanuel, soit «Dieu avec nous».
N’êtes-vous jamais blasé de prêcher sur le sujet?
C.M.: Jamais! J’aime toujours ça. Mais il est vrai qu’à Noël le risque que je me retrouve face aux mêmes personnes est plus grand qu’à d’autres moments. Et il y a des gens qui ont une très bonne mémoire! J'ai même rencontré quelqu'un qui prenait des notes et qui les relisait chaque année avant la célébration: «Vous avez dit à peu près la même chose qu’il y a sept ans!»
P.-P.B.: Ce serait davantage gênant si on ne disait plus du tout la même chose! (Rires) J’aime aussi beaucoup cette période: Noël permet de rencontrer une grande diversité de personnes. Et si le message principal reste le même, il y a toujours des détails incroyables à explorer dans les Ecritures. Une tradition religieuse est comme une source: l'eau qui en coule est toujours nouvelle et vient abreuver notre soif de ce jour. Il y a donc plein de choses à dire aujourd'hui qui n'auraient peut-être pas pu être dites hier ou qui ne seront pas dites demain.
Qu’en sera-t-il pour cette année?
P.-P.B.: Je prêcherai volontiers sur l’improvisation. Prenons cette histoire de crèche dans une étable: c’était complètement improvisé. Il n'y avait pas d’autres possibilités, alors on a fait quelque chose de simple. Pourquoi ne pas nous en inspirer? Nous nous sentons poussés à des prouesses culinaires et nous mettons aussi la pression pour que tout se passe joyeusement au niveau relationnel: «Il faut que l’on soit heureux autour de la table!» Les attentes sont tellement élevées qu’on s’expose à un Noël agité, voire mal vécu.
Cette pression sociale autour de Noël vous interpelle-t-elle également?
C.M.: Il me semble important d’investir cette notion de sobriété heureuse. On n'a pas besoin de nager dans les offrandes et de s'endetter pour préparer une grande fête de Noël. La simplicité apporte davantage de joie. Elle est d’ailleurs en raccord avec la naissance de Jésus. Ce Dieu venu sur terre aurait mérité d’arriver dans une demeure somptueuse, mais ce fut tout le contraire. Alors, s’il a pu choisir la sobriété, pourquoi ne pourrions-nous pas le fêter de la même manière?
P.-P.B. : Lorsque l’on regarde attentivement la généalogie de Jésus, on y trouve des gens qui ne sont pas du tout des parangons de vertu! Cela raconte magnifiquement l'incarnation dans tout ce qu'elle a de plus imparfait. Le Christ vient parmi les humains: pas uniquement les humains édulcorés, mais les hommes et les femmes de tous les jours. Je pense qu’il y a là aussi quelque chose de beau pour nous aider à nous accepter les uns les autres.
Certaines choses peuvent-elles vous agacer à Noël, voire vous gâcher la fête?
P.-P.B.: Une expression m’énerve particulièrement: «la magie de Noël». Je trouve qu’on abuse de ce terme qui est sans substance. Cela renvoie à un Noël kitsch et mis en scène. Mais c'est là un avis personnel, et je ne vais pas partir en campagne contre ce mot non plus!
C.M.: Je perçois aussi dans ce terme une espère de mainmise sur une force supérieure. Comme si on pouvait l’utiliser à nos propres fins, pour nos envies et nos projets personnels. Alors que Noël ce n’est pas ça, mais l’accueil de Dieu dans nos vies.
En tant qu’évêque et pasteur, comment vivez-vous ces Noël toujours plus déchristianisés?
P.-P.B.: On peut évidemment le regretter, mais le fait que Noël soit récupéré tout autour de la planète commercialement, culturellement et symboliquement n’est pas anodin. Que des grandes stars américaines sortent des disques de Noël, c’est aussi le signe qu’il y a quelque chose dans cette histoire qui touche les gens par-delà les croyances.
C.M.: Noël s’est sécularisé, mais il n’a pas disparu. Il a encore un impact aujourd’hui et il faut s’en réjouir. Que des gens en oublient le sens profond, cela me gêne moins qu’à Pâques! Il m’est arrivé de marcher dans la rue, le Vendredi saint, et de m’attrister pour tous ces gens qui ne savent pas que Jésus est mort et que c'est aussi pour eux. Cela m'affecte beaucoup. Non pas que je pense que sa mort soit rendue inutile, mais parce que des gens ne remarquent pas que cela signifie que Dieu les aime.
Précisément, Noël représente-t-il un enjeu particulier pour les Eglises?
P.-P.B.: C’est en effet un moment où les personnes sont plus largement réceptives à ce que l’on peut proposer, que cela soit une après-midi avec les enfants, des bricolages, des contes ou bien sûr des célébrations de la nativité. L’occasion nous est alors donnée de raconter l’histoire de Noël, de remonter ces traces laissées dans notre société et revenir à la source.
C.M.: En tant qu’Eglise, notre devoir est de diriger le regard vers Jésus. Car même si l’Ecclésiaste dit qu’«il n’y a rien de nouveau sous le soleil», que «ce qui fut sera, ce qui s’est fait se refera», il y a là une vraie nouveauté dans l’histoire du monde: un Fils nous est né. Et quand Jésus dit «aimez vos ennemis», c'est révolutionnaire. Avec lui, on change vraiment de perspective.
Peut-on encore affirmer aujourd'hui que Jésus est le Fils de Dieu?
C.M.: Evidemment! Après, il faut expliquer ce que cela signifie, car cela ne saute pas aux yeux de manière immédiate. Jésus n’est pas biologiquement le Fils de Dieu comme je suis le fils de mes parents. C’est autre chose, tout en étant en partie la même chose. Il faut cependant rester attentif vis-à-vis des personnes pour qui ce mot ne peut pas être compris positivement en raison de leur histoire familiale.
P.-P.B.: En Eglises, je pense que l’on s’est un peu trop préoccupé de ces débats d’idées dans nos homélies ou nos prédications. Comme si on devait d’abord répondre aux philosophes ou aux sceptiques. Alors qu’une religion donne des choses à vivre en plus de la réflexion. Le christianisme est en son origine une affaire de rencontres transformatrices.
Les Eglises évoquent souvent la notion d'espérance. Quelle est-elle et comment celle-ci peut rejoindre les gens dans leur existence?
P.-P.B.:
A la différence d’autres langues, le français distingue deux mots: l’espoir et l’espérance. L’espoir est conditionné à quelque chose. L'espérance peut, quant à elle, se vivre par-delà la réalité des choses. Elle peut nous mettre en action par rapport à des situations d’apparence sans espoir; elle nous permet typiquement de nous battre pour des causes perdues. Je pense qu'il y a une force dans la fête de Noël qui nous mobilise pour agir en dépit de ce qu'on voit. Ainsi, l'espérance a une dimension spirituelle que l'espoir n'a pas.
C.M.: On a terriblement besoin d'espérance aujourd'hui. Voyez tous ces jeunes qui se demandent s'il est encore légitime d'avoir des enfants. Ils nous décrivent un monde où il n'y a pas d'espérance. Leur avenir se résume-t-il à une terre en surchauffe avec des guerres partout? C'est une vraie question. Or je crois que c’est précisément pour ça que Jésus est venu: il vient nous aider, il nous tend la main.
Leurs Noëls d'enfance et d'aujourd'hui
Pierre-Philippe Blaser
«Quand nous étions enfants avec mes deux frères, notre mère invitait toujours des personnes seules à Noël, souvent de vieilles dames», se souvient Pierre-Philippe Blaser. «Cette coutume se poursuit aujourd’hui dans la famille, une de mes belles-sœurs invite par exemple régulièrement des réfugiés: un Afghan ou des Ukrainiens ces dernières années.» Si cette expression de solidarité lui tient à cœur, il constate en plus que «cela peut apaiser les tensions pouvant exister au sein des familles. En élargissant le cercle des invités, on choisit d’autres sujets de discussions. On laisse plus facilement de côté nos divergences politiques, par exemple.»
De ces Noël d’enfant, il se rappelle très précisément «un carrousel de petits anges carillonnant, actionné par la chaleur des bougies». «Petit garçon, j’étais enchanté par cet objet, mais aussi par les cultes de minuit», raconte-t-il. «Nous étions dans le Val-de-Travers et nous descendions à l’église à pied dans le froid et la nature. En nous approchant, on entendait les cloches sonner. Ce sont des souvenirs magnifiques.» Et d’évoquer encore les chants de Noël, à l’église ou à la maison.
Le pasteur fribourgeois confie avoir également connu «des repas de famille un peu tendus» sous la pression de «bien faire». «Ma maman était beaucoup plus détendue au moment de servir le dessert à la fin du repas que quand les gens arrivaient», observe-t-il aujourd’hui. S’il devait se souvenir d’un cadeau en particulier, il choisirait cette grue qu’il avait désirée pendant de longs mois. «Je pensais qu'elle serait bleue et en métal, mais quand j’ai ouvert le paquet, elle était jaune et en plastique! J’étais très déçu.»
Il se souvient également de cette «dame qui jouait le rôle de Saint-Nicolas» dans son quartier. «J’étais déjà effrayé par le personnage, mais en plus avec cette voix de femme! Il fallait mettre notre bras dans son grand sac de jute rêche pour y piocher des mandarines et un Gritty Bänz (bonhomme de la Saint-Nicolas en pâte, ndlr.) J’avais peur qu’elle me pousse dedans comme Hansel et Gretel!»
Et qu’en est-il de ses Noël aujourd’hui, une fois la robe de ministre rangée dans la penderie? «Avec les familles qui s’agrandissent, il devient impossible d’organiser une fête qui regroupe tous les enfants de part et d’autre», formule-t-il. «Cette année, on a donc décidé de faire un repas canadien. Et puis les gens qui veulent venir viennent quand ils le veulent. L’idée est de passer du temps ensemble en toute simplicité.»
Charles Morerod
«Dans mes souvenirs d’enfant, le sapin occupe une place très importante», confie Charles Morerod. «J’aimais le décorer, sentir son odeur. On y plaçait aussi à son pied religieusement une crèche de Noël.» Et préciser qu’à la maison, «la dimension religieuse était présente, mais un peu discrètement», du fait que sa mère était catholique et son père protestant. «J’étais cependant bien conscient que l’enjeu était de fêter la naissance de Jésus. Je savais que ce n’était pas qu’une fête végétale!»
Si l’évêque n’a connu sa première messe de minuit qu’à l’âge de 20 ans, il avait néanmoins l’habitude de se rendre à la messe le matin de Noël. «Je n’en ai pour autant gardé aucun souvenir précis», confesse-t-il.
L’homme d’Eglise confie également s’être parfois beaucoup ennuyé lors «des repas de famille étendue qui s’éternisaient. Il fallait attendre pour pouvoir se retirer de la table, c’était parfois un peu pénible en tant qu’enfant». Un sentiment qui n’est pas propre à Noël, pointe-t-il, soulignant que «les repas de mariage, c’est encore pire».
Se rangeait-il dès lors plutôt dans la team Jésus ou Père Noël? «Dans mon enfance bulloise, Saint-Nicolas occupait assez d'espace pour qu’on ne pense pas au Père Noël», répond-il. Et d’insister sur le fait qu’il aurait naturellement eu un penchant pour «le bœuf et l’âne gris, avec lesquels on peut tout autant rêver».
Côté cadeaux, il se souvient surtout de ce «très gros jouet» qu’il avait vu exposé dans une vitrine: «un fort, comme dans les western», assume-t-il avec peine, de peur qu’on lui prête des penchants belliqueux. Et de raconter: «On me l’avait promis à la condition que je travaille bien à l’école. Je pense que de toute mon enfance, c'est à peu près la seule fois que j'ai autant travaillé!»
L’homme exprime ne pas être nostalgique de ces Noël d’enfant: «J’assume le fait d’avoir vieilli et que le cadre familial ne soit plus le même.» Comme chaque année depuis longtemps, il se dit «au service des autres à Noël»: «J’ai des célébrations le 24 et le 25. Et quand c’est fini, je suis content de me reposer un peu, car c’est quand même éreintant.» Il ne s’en réjouit pas moins de rejoindre une fête de famille le 25. «L’année passée, c’était la première fête de famille depuis que ma maman est dans un EMS. J’étais inquiet qu’elle ne puisse pas en profiter. Je suis désormais rassuré: dans une occasion exceptionnelle, elle tient le choc et n’a aucun souci à boire autre chose que de l’eau!»