Jussy, entre temple et châtiment

© iStock / Luc-Eric Revilliod est un des descendants de «La Rolette», l’avant-dernière «sorcière» du canton à avoir été brûlée, après avoir passé onze années dans la prison attenante au temple de Jussy. Un festival lui redonne vie, tout en rendant hommage aux autres victimes du lieu.
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Luc-Eric Revilliod est un des descendants de «La Rolette», l’avant-dernière «sorcière» du canton à avoir été brûlée, après avoir passé onze années dans la prison attenante au temple de Jussy. Un festival lui redonne vie, tout en rendant hommage aux autres victimes du lieu.

Jussy, entre temple et châtiment

Luc-Eric Revilliod est un des descendants de «La Rolette», l’avant-dernière «sorcière» du canton à avoir été brûlée, après avoir passé onze années dans la prison attenante au temple de Jussy. Un festival lui redonne vie, tout en rendant hommage aux autres victimes du lieu.

Au milieu du village de Jussy trône son temple protestant. Au temps de Calvin, le grand réformateur s’indignait que des badauds viennent s’enivrer entre les tombes installées devant le bâtiment. Le cimetière n’est plus, restent les fantômes. A commencer par celui de Rolette Revilliod, emprisonnée de longues années dans la chapelle attenante au temple alors transformée en prison, avant d’être accusée de sorcellerie, dans la salle d’audience aménagée de l’autre côté de la nef.

Au cœur de cette campagne verdoyante, délivrant une vue imprenable sur le Mont-Blanc, s’est en effet joué, entre les 16e et 17e  siècles, le destin de plusieurs personnes accusées de sorcellerie. Organisé par la paroisse de Jussy-Gy-Meinier-Presinge-Puplinge, le festival «Mémoire vive» (lire encadré) se propose, tant qu’il se peut, de réparer cette injustice. Rencontre avec Luc-Eric Revilliod, descendant de Rolette Revilliod, président du Conseil de paroisse et ancien maire de Jussy.

Que sait-on exactement sur Rolette Revilliod?

Nous ne savons pas grand-chose de sa vie, à part ce qui figure dans les documents liés au procès. Nous n’avons pas sa date de naissance par exemple. C’est une femme et on n’était pas forcément enregistré en tant que femme à l’époque, soit au milieu du 16e siècle. On sait qu’elle s’était mariée avec quelqu’un qui habitait le hameau de Lullier, mais elle s’est retrouvée veuve très jeune. Elle ne s’est pas remariée. C’était une femme indépendante, qui sortait. Or cela était très mal vu chez les protestants à l’époque. Un homme ou une femme se devait toujours d’être marié. 

Quel est votre lien de parenté exact avec cette aïeule?

Je suis le treizième arrière-neveu de Rolette. Je suis le descendant de son frère Antoine, dont on a retrouvé l’acte de mariage daté de 1594. On pense que Rolette était déjà veuve à ce moment-là. Celui-ci habitait à Lullier, dans la maison de famille où Rolette est née. La maison est restée dans la famille, j’y habite encore.

Sait-on néanmoins quel âge elle avait environ lors de son procès?

En se référant à la date de naissance de son frère, on peut déduire qu’elle avait une soixantaine d’années.

Elle sera accusée de sorcellerie, mais quels sont les faits qui lui sont reprochés?

Tout commence onze ans avant le procès. Elle arrive un dimanche matin au culte, ici au temple de Jussy, toute débraillée et en sang. Alors que des bruits courent déjà sur cette femme qui vit sa vie librement, les paroissiens lui demandent si c’est le diable qui l’a agressée. Elle répond que c’est le valet d’un voisin qui l’a violentée sur le chemin entre Lulier et Jussy. C’est alors qu’on l’emprisonne.

Sans autres raisons?

Son mode de vie dérangeait. Elle était victime ce jour-là, mais on ne l’a pas crue. Elle a été retenue prisonnière dans l'ancienne chapelle Saint-Blaise, attenante au temple, qui avait été transformée en prison et en salle de torture. C’est-à-dire que pendant onze ans, les habitants de la région venaient écouter le prêche du pasteur et priaient juste à côté.

Ni le pasteur d’alors ni l’Eglise n’ont réagi?

S’ils n’étaient pas complices, ils n’ont en tout cas rien fait pour s’interposer.

Comment en est-on alors venu aux accusations de sorcellerie?

En 1626, la région connaît une année de grande sécheresse. La chronique officielle dit même que les vaches n’avaient plus de lait ni d'herbe à manger. En cette période de grande disette, les autorités se rappellent alors de cette sorcière qui croupit dans la prison. Ils se mettent en tête de lui faire avouer sa sorcellerie et ensuite la brûler pour faire diversion. Comme disaient les Romains, du pain et des jeux. Mais quand il n’y a pas de pain, on fait des jeux cruels.

Comment vont-ils s’y prendre?

Au mois d’août, on lui fait subir des supplices pour qu'elle avoue être une sorcière. Elle va subir deux fois ce qu'on appelle l’estrapade. C'est-à-dire que l’on lui attache les poignets ou les chevilles à une corde qu’on tire sur une poulie pour élever le corps, et puis on lâche la corde, la retenant juste avant que le corps ne s’écrase au sol, ce qui provoquait une dislocation des articulations. Avec une aiguille, on a également cherché ce qu'on appelait le «signe du diable».

C’est-à-dire?

Il s’agissait d’une aiguille que l’on plantait dans tout le corps de la personne accusée, à la recherche d’un endroit qui ne saignait pas ou qui ne se révélait pas douloureux, et qui serait l’endroit où elle a été touchée par le diable. Deux de ces endroits vont être trouvés sur le corps de Rolette.

Qu’arrive-t-il ensuite à Rolette?

La sentence indique qu'elle doit être menée en un lieu-dit appelé le Châtelet, dans les champs à l’entrée du Mandement de Jussy, pour y être brûlée. Afin que son corps soit réduit en cendres, puis son âme séparée du corps, et que ses biens soient confisqués à la seigneurie. Toute la population a été tenue d’assister à cette scène. Vingt-quatre cavaliers armés sont même arrivés de la ville pour assurer l’ordre, des membres du gouvernement ainsi que le seigneur châtelain étaient également présents. On connaît exactement l’emplacement, car à côté il y avait ce qu’on appelle les fourches patibulaires, c’est-à-dire quatre pieux dressés avec des poutres, où l’on pendait les gens à l’époque.

Le Mandement de Jussy s'est particulièrement distingué par rapport à cette chasse aux sorcières, avec 12 condamnations et châtiments entre 1539 et 1641. Comment le comprenez-vous?

D'abord, c'est un Mandement un peu isolé, entouré par les terres de Savoie, puis il y a eu toutes ces guerres jusqu’en 1590. La vie ici était terrible, il y avait beaucoup de pauvreté, ce qui suscitait beaucoup d’animosité et de jalousie. Un officier du mandement a aussi été condamné pour sorcellerie et brûlé, il semble qu’il s’agissait surtout de vengeance politique. Il y a aussi, à l’entrée des bois de Jussy, le lieu-dit de la Moilettaz, appelé le «sabbat des sorcières». Plusieurs femmes ont été arrêtées à la fin du 16e siècle, accusées d’y avoir dansé le sabbat en cercle. Pour preuve, les traces de pas laissées dans l’herbe. Il faudra attendre le 19e siècle pour montrer qu’il s’agit là des marques d’un champignon qui se développe dans l’herbe et lui donne cette allure brûlée en forme de rond.

Qu’attendez-vous de ce festival consacré au destin de votre aïeule?

L’idée est de réhabiliter un peu tous ces gens qui ont été soit injustement condamnés à mort, soit bannis. On ne peut pas réparer ces injustices, mais on peut attirer l’attention sur celles qui se déroulent aujourd’hui. Ces chasses aux sorcières peuvent prendre différentes formes, et nous ne sommes pas à l’abri, ici ou dans d’autres endroits du monde, de voir survenir d’autres cabales.

Un festival face aux inacceptables chasses aux sorcières

Initié par la pasteure de l’Eglise protestante de Genève Vanessa Trüb, le festival «Mémoire Vive» s’ancre dans le passé peu glorieux du Mandement de Jussy – avec la condamnation à mort de seize de ses habitants pour sorcellerie aux 16e et 17e siècles – pour inciter à réfléchir aux injustices actuelles. Sur quatre jours, du 25 au 28 avril, différents rendez-vous déclineront cette thématique, à commencer par le spectacle musical «Brûle sorcière!», écrit par Vanessa Trüb et qui retrace «le parcours  en discrimination» de Rolette Reviliod. S’y ajouteront des marches de 3 km «Sur les pas des sorcières» avec Luc-Eric Revilliod, une table ronde sur les sorcières d’aujourd’hui en présence notamment de l’historien Michel Porret et de deux d’entre elles, ainsi que l’inauguration d’un Mémorial réalisé par l’artiste puplingeois Sylvio Asseo représentant le «flambeau de la justice».

 

Plus d’infos sur jussy.epg.ch