Daniel Fatzer, un prophète passionné, mais pas trop attaché aux règles
Les deux parties se sont entendues pour renoncer à entendre deux témoins ainsi qu’à s’en tenir aux versions des faits présentées dans le dossier plutôt que de procéder à l’audition devant la cour du pasteur Daniel Fatzer et des représentants de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV). La phase d’instruction du procès opposant le ministre à son ancien employeur à la suite d’un licenciement contesté a donc pu se terminer ce mercredi 3 octobre à midi, plutôt qu’en fin de journée. Et c’est bien le seul point sur lequel un accord a été trouvé. Malgré l’exhortation de trouver un accord permettant de mettre fin au procès, renouvelée la veille par la présidente Valérie Favre (notre article précédant), les représentants de l’Église et le pasteur ancien gréviste de la faim sont «arrivés à la conclusion que nous n’y arriverons pas», selon la formule de Mathias Burnand, avocat de Daniel Fatzer.
Une audience de plaidoirie sera donc agendée d’ici quelques semaines ou mois. «Dans l’intervalle, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Il est parfois plus facile de s’entendre en dehors du cadre des audiences», a glissé Valérie Favre, comme une dernière invitation à régler l’affaire grâce à des pourparlers transactionnels.
Après une carrière marquée par plusieurs périodes de conflits avec les autorités ecclésiales, Daniel Fatzer a finalement été licencié avec effet immédiat en juin 2016. Lors d’un culte radiodiffusé, il a cité nommément un collègue récemment licencié dont il a pris la défense. Une démarche contraire aux règles déontologiques qui a provoqué une décision de la part de Médias-pro, l’Office protestant des médias, de cesser toute collaboration avec lui à l’avenir. Apprenant cette sanction l’EERV a décidé du licenciement pour faute grave, à un an, environ, de son départ à la retraite.
Des règles déontologiques connues
Auditionnée comme témoin, mercredi matin, la pasteure Sabine Petermann qui au moment des faits était productrice des cultes sur Espace 2, a rappelé que Daniel Fatzer ne pouvait pas ignorer le cadre déontologique en place lors des cultes radiodiffusés. «Il a été plusieurs années assistant de production. C’est lui qui devait encadrer les communautés avant les cultes radio. Il connaît les enjeux notamment vis-à-vis de la RTS.» C’est pour cette raison qu’elle a fait confiance à Daniel Fatzer pour qu’il suive les instructions qui lui avaient été données, après que la production des cultes a pris connaissance du texte que le célébrant comptait prononcer durant la liturgie. «En principe, les pasteurs sont des partenaires de très grande confiance et ils appliquent les consignes.» Productrice de 57 cultes par année pendant dix ans, Sabine Petermann reconnaît que ce culte du 12 juin 2016représente le seul cas où un ministre a passé outre une consigne de l’équipe de production.
Le «oui mais» du protestant
Également appelé comme témoin, le pasteur Jean Chollet qui collaborait avec Daniel Fatzer à Saint-Laurent Église a toutefois présenté un rapport à l’autorité quelque peu différent. «Nous avons choisi de défendre un protestantisme dans son esprit plutôt que dans sa lettre. Et l’esprit du protestantisme c’est le “oui, mais...”», rappelle le ministre qui reconnaît avoir souvent bousculé pour faire réfléchir, voire désobéi pour pouvoir avancer.
Jean Chollet cite comme exemple les bancs du temple de Saint-Laurent, dont les deux pasteurs avaient décidé qu’ils étaient trop nombreux et qu’il vaudrait mieux en enlever une partie afin de pouvoir placer les gens en U, ce qui permettrait aux paroissiens de se voir durant le culte. Le projet est refusé par le service des monuments historiques. «Nous avons donc attendu un dimanche après-midi, qui semble être le seul moment où la maréchaussée se repose dans cette ville, et sommes venus avec une camionnette pour emmener les bancs en villégiature à la campagne.» S’en suivent une dénonciation et une séance de négociation avec la municipalité de Lausanne. «Nous avons demandé au municipal s’il trouverait normal d’imposer à l’opéra des sièges du XVIIIe siècle», raconte Jean Chollet. «Nous lui avons ensuite demandé pourquoi il voulait imposer cela aux protestants qui vont au culte.»
Conforté par la contestation
Jean Chollet reconnaît avoir lui aussi tenté de dissuader Daniel Fatzer de prononcer la phrase qui conduit à son licenciement. «Je l’ai fait non pas parce qu’elle me semblait malvenue, mais parce que je pensais qu’elle était dangereuse pour lui.» Comparant Daniel Fatzer à un prophète ayant un message important à délivrer il ajoute: «les personnes contestées ont tendance à radicaliser leur discours. Plus la contestation est forte, plus ils y voient la preuve que ce qu’ils ont à dire est juste.»
Reconnaissant le côté agitateur du duo qu’il forme avec Daniel Fatzer, Jean Chollet admet «Je crois que le Conseil synodal (exécutif de l’EERV) nous a beaucoup défendu, en disant c’est un lieu à qui on a demandé d’être original, on ne va pas lui reprocher de l’être.»
À la fin de son témoignage, Jean Chollet compare: «le licenciement de Daniel Fatzer ressemble à la baffe qu’une institutrice balance à midi moins cinq à un élève difficile qu’elle a pourtant supporté depuis 8h. Ce qui est bizarre c’est que l’on peut comprendre qu’une institutrice seule pète les plombs, un peu moins qu’un collège de sept personnes en fasse autant.»
Un pasteur admirable
Jean Chollet considère que le travail de son complice était admirable. «On dit d’un collègue que c’est quelqu’un qui fait la même chose que soit, mais moins bien. Dans mon cas je pouvais dire que mon collègue faisait la même chose que moi, mais mieux.» Interrogé par l’avocat de Daniel Fatzer sur ce que devrait être le certificat de travail de ce dernier, Jean Chollet admet toute une série de qualificatifs dithyrambiques, mais précise: «c’est tout juste, mais j’enlèverais “fédérateur”.»