Frédérique Seidel, le climat au nom des enfants

Frédérique Seidel / © Alain Grosclaude
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Frédérique Seidel
© Alain Grosclaude

Frédérique Seidel, le climat au nom des enfants

Immoral
Rendre tabous l’investissement dans les énergies fossiles et la désinformation climatique: c’est le combat mené avec joie et détermination de cette responsable du Conseil œcuménique des Eglises.

S’il y a bien une chose que Frédérique Seidel ne supporte pas, c’est le discours selon lequel il y aurait de l’espoir pour la planète parce que des jeunes sont engagés. «Je ne trouve pas moral que des adultes placent leur espoir dans des enfants. C’est le monde à l’envers, c’est trop lourd à porter pour eux!»

Celle qui a codéveloppé un système de ligne d’écoute téléphonique pour les enfants a été frappée par les appels reçus dans les pays industrialisés: les enfants y vivent de fortes souffrances psychologiques en raison de «l’extrême angoisse que constitue le réchauffement climatique». «Ils s’imaginent avec peine avoir à leur tour des enfants, ne peuvent pas étudier parce qu’ils ont l’impression que notre civilisation va droit dans le mur: c’est une souffrance indicible. C’est horrible pour eux de lire un rapport du GIEC. Les enfants engagés pour le climat que je rencontre en Eglise le font au détriment de leur santé mentale. C’est extrêmement triste.»

Protéger et non agresser

Pour cette croyante, proche de l’Eglise catholique-chrétienne, les adultes chrétiens ont la même responsabilité environnementale qu’en matière d’abus sexuels: «Si ceux qui sont censés protéger les enfants deviennent les agresseurs, les traces demeurent tout au long de l’existence des victimes. C’est pareil en matière de réchauffement: si le compte bancaire des parents alimente des fonds finançant de nouveaux forages pétroliers, les sacrifices consentis par leurs enfants pour sauver l’environnement seront réalisés en vain.»

Alors Frédérique Seidel agit. Avec le Conseil œcuménique des Eglises (COE), elle essaie de rallier un maximum de partenaires internationaux: mouvement Laudato sì, programme environnemental de l’ONU, Unicef… Elle multiplie les rapports, campagnes et, entre deux, les webinaires permettant aux militants de se tenir au courant.

Qu’investir dans les énergies fossiles soit aussi gênant qu’acheter de la fourrure.

Croyants à la pointe

Dans sa ligne de mire, deux objectifs. D’abord, acter la décarbonisation des placements des institutions ecclésiales et des croyants. Les choix bancaires sont selon les experts qu’elle côtoie «l’un des leviers les plus efficaces et les moins connus». Un combat mené entre autres avec des Eglises à la pointe sur le sujet (les anglicans de Grande-Bretagne et d’Ecosse, les luthériens suédois…), dans un contexte qui bouge. «Quand j’ai commencé les premières discussions avec les banquiers, 16% de l’argent mondial était investi de manière responsable; deux ans plus tard, c’était 19%. Et 35% des organisations qui ont désinvesti dans les énergies fossiles étaient confessionnelles: les croyants sont la catégorie la plus importante dans ce mouvement.»

Pourtant, rien qu’en Suisse, le chemin reste encore long: «A terme, j’aimerais qu’investir dans les fossiles devienne aussi gênant que d’acheter de la fourrure. Que les personnes souhaitant avoir bonne conscience aient le réflexe de vérifier ce que finance leur argent.» Le COE, qui comptait 16 millions de francs de dépôt de court et long terme en 2014, a ajouté cette année-là les industries fossiles aux secteurs dans lesquels il se refusait à investir, aux côtés du nucléaire, des OGM ou des armes.

Second axe que s’est fixé la responsable au COE: rendre hors la loi la désinformation climatique. En cela, la victoire, ce printemps, des Aînées suisses pour le climat devant la Cour européenne des droits de l’homme se révèle une puissante ressource. «Nous sommes en lien avec elles. Cette décision ouvre la voie à l’utilisation de la notion de justice intergénérationnelle. Désinformer sur ce sujet est une atteinte directe et grave aux droits des enfants, nombreux à mourir en raison du réchauffement climatique.»

Activisme précoce

Pour Frédérique Seidel, il en va de la loyauté envers ses deux enfants. Mais aussi envers elle-même: adolescente, dans les années 1980, elle sensibilisait déjà les passants dans les rues de Bonn (Allemagne) contre le réchauffement climatique, avec son groupe de jeunes protestants. «A l’époque, je n’avais pas conscience de la désinformation massive menée par les groupes pétroliers. Si j’étais tombée dessus, je m’y serais peut-être accrochée de bonne foi, car, bien sûr, j’aurais préféré vivre sans la peur de l’augmentation continue de CO2 dans notre atmosphère… causée à 75% par les énergies fossiles.»

Bio express

2006 – 2012 Coordinatrice de programmes et directrice adjointe de bureau de terrain (Unicef).
2012 Rejoint le COE.
2017 «Engagements des Eglises pour les enfants», directives sur les droits des enfants (Unicef/COE).
2022 Cooler Earth, Higher Benefits, un rapport et une campagne qui relient investissements bancaires, justice climatique et droits des enfants.
2022 Appel interreligieux pour la décarbonisation des placements financiers (COE/Programme des Nations unies pour l’environnement).
2023 Rapport «Sauver la vie des enfants – Guide de survie par des choix bancaires responsables» (en anglais).
Septembre 2024 Campagne incitant les Eglises à agir juridiquement contre les nouveaux investissements dans les énergies fossiles.

Miser sur la justice

«La Cour pénale internationale met à jour son cadre juridique en matière de crimes environnementaux. Elle a ouvert une consultation en la matière auprès de nombreux organismes en 2024. Nous lui avons adressé deux requêtes: que la désinformation consciente et active en matière de réchauffement climatique soit reconnue comme un crime contre l’humanité. Et que le financement par des banques de nouveaux forages pour des énergies fossiles, à l’heure où la science nous dit que ces énergies sont une menace pour la survie de l’humanité, soit traité en justice. Nous souhaitons que l’impunité s’arrête.»