Trendy, l’agroécologie ne veut pas «être une mode»
« L’an dernier, nos journées de l’agroécologie ont pris une telle proportion, tellement d’acteurs ont voulu participer, organiser, qu’on s’est posé beaucoup de questions: qu’est-ce qui entre ou non dans le concept? Qu’est-ce qui s’apparente à de la récupération?» rapporte Théo Fischer, membre du réseau suisse Agroecology Works, qui fédère beaucoup d’initiatives dans le domaine.
L’agroécologie a le vent en poupe. Pourtant, le terme est utilisé pour la première fois en 1928 par un agronome américain. Il recouvre aujourd’hui aussi bien une science (développée dans les années 1960-1970) qu’un mouvement social, dont le creuset est les luttes des paysans d’Amérique du Sud pour leurs rémunérations, dans les années 1980. Alors, de quoi parle-t-on et qui peut se revendiquer de l’agroécologie aujourd’hui? Suffit-il d’avoir un compost sur son balcon, ou d’afficher que l’on soutient l’agriculture durable, comme le font certaines multinationales?
Espaces d’innovation
Pour Raphaël Charles, à la tête du Département romand de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FiBL), le concept est «à géométrie variable. Etant donné son émergence récente, il faut finalement regarder qui l’utilise et pourquoi». Pour cet expert, le point commun entre les projets agroécologiques, «c’est qu’ils offrent des espaces de liberté et d’innovation dans l’agriculture». Et de rappeler que, si beaucoup d’évolutions viennent, en Suisse, de personnes externes à la profession, le reste du monde agricole n’y est pas réfractaire par principe, mais «ne peut pas les absorber et les mettre en œuvre instantanément, faute de moyens, de formation, de temps»…
D’ailleurs, rappelle-t-il, les producteurs sont souvent les premiers à inventer: «Un groupe d’arboriculteurs de l’Ouest lémanique voulant produire avec moins de pesticides dans les années 1970 a proposé une méthode de culture, la protection intégrée; ce qui donna naissance à une partie des paiements directs d’aujourd’hui. Ce sont aussi des praticiens qui ont lancé le FiBL il y a 50 ans, puis Bio Suisse il y a 40 ans, pour arriver aux produits bio locaux de nos magasins.»
Un fonctionnement en systèmes
Pour son confrère Adrian Müller, chercheur au Département sciences des systèmes alimentaires du FiBL, même si l’agroécologie en tant qu’espace d’innovation n’est pas représentative ni significative sur le plan agricole, elle est précieuse parce qu’elle apporte une réponse à plusieurs enjeux, notamment alimentaires. «On ne peut pas continuer à produire comme on le fait. Et parmi les innovations apportées par l’agroécologie, il y a le fait de penser en systèmes de production plus petits, impliquant les consommateurs. Ce type de production peut nourrir, offrir plus de productivité et moins de pollution, à condition qu’il intègre le public.» Mais de préciser que cette piste n’est qu’une solution parmi d’autres: «Il faut observer chaque situation sans idéologie et au cas par cas.»
Et l’agroécologie compte aussi des limites. Elle attire beaucoup de jeunes en quête de changement, «mais humainement ce n’est actuellement pas durable. Les microfermes connaissent un turnover alarmant. Le métier n’est pas suffisamment rémunéré et procure une grande usure physique et psychologique», observe Raphaël Charles. Non, l’agriculture ne s’improvise pas.