L'artiste se remet en cause perpétuellement

Trois des dix tableaux de la série "Cinquante jours à Troie" lors d'une exposition à Philadelphie. De gauche à droite: "Achéens au combat", " Le Feu qui dévore tout sur son passage" et "Fantômes d'Achille, Patrocle et Hector". / © Michelle Gilders / Alamy Stock Photo
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Trois des dix tableaux de la série "Cinquante jours à Troie" lors d'une exposition à Philadelphie. De gauche à droite: "Achéens au combat", " Le Feu qui dévore tout sur son passage" et "Fantômes d'Achille, Patrocle et Hector".
© Michelle Gilders / Alamy Stock Photo

L'artiste se remet en cause perpétuellement

Création
Une exposition à voir dès fin août à Lausanne interroge le rôle des missionnaires dans la construction de l’image que se font les Romands de l’Afrique. Un de ses commissaires, Lionel Pernet, présente une oeuvre qui le touche.

«Dans les oeuvres de Cy Twombly, il y a des couches qui font un peu palimpseste, comme des couches archéologiques», compare Lionel Pernet, directeur du Musée cantonal vaudois d’archéologie et d’histoire. «L’art abstrait a parfois l’air enfantin, mais c’est en fait très construit», note celui qui avait un temps envisagé une carrière artistique: «Cette page blanche, cette oeuvre à créer en permanence, je me suis rendu compte que cela ne me convenait pas. Il faut bien comprendre que l’artiste ne produit pas simplement un tableau, il est dans une démarche de recherche et il se remet toujours en question!» Cette démarche intellectuelle, Lionel Pernet la retrouve finalement dans ses études de lettres. «J’ai fait archéologie, philosophie et histoire, c’est aussi une remise en cause permanente de son travail, mais en ce qui me concerne, j’ai compris assez vite que ce ne serait pas par le moyen de recherche picturale que je pourrais vivre cela.»

L’archéologue a toutefois une culture artistique assez importante grâce, en particulier, à des cours de peinture suivis à l’adolescence. «La dame qui les donnait ne me faisait pas simplement peindre, elle me faisait aussi découvrir de nombreux artistes grâce à sa bibliothèque. L’objectif, c’était de savoir regarder des oeuvres sans les juger a priori.» S’il renonce à une carrière d’artiste, Lionel Pernet reconnaît: «J’aime bien le dessin technique. Par exemple, lorsque l’on fait des illustrations d’objets archéologiques, mais cela se fait selon des normes et des règles très cadrées.»

Une énergie nouvelle

«Cy Twombly, je le ‹croise› régulièrement. J’ai vu de ses tableaux à différents moments de ma vie.» Lionel Pernet se souvient en particulier d’une rétrospective au Centre Pompidou, à Paris en 2017. «Ce sont de très grands formats, des tableaux gigantesques. Et je suis sorti de cette exposition avec une énergie nouvelle.» La série de tableaux inspirés par l’Iliade a, en particulier, marqué l’archéologue. «Ces tableaux ont un côté libérateur.» «J’ai aussi beaucoup hésité à choisir un objet d’art celtique. Ce que je trouve intéressant dans ces créations, c’est que les oeuvres se lisent selon plusieurs points de vue. On peut y voir des formes humaines ou animales, suivant l’angle. Il y a une grande liberté, très différente de ce qui se faisait autour de la Méditerranée à la même époque!», s’enthousiasme le chercheur. «Peut-être que ces objets racontent des histoires connues, mais on n’en a pas les codes, car il s’agissait de traditions orales qui se sont perdues.»

Bio express

Lionel Pernet

Lionel Pernet a 41 ans. Il découvre l’archéologie en allant travailler dans les fouilles à Pomy (VD) lors de la construction de l’autoroute entre Yverdon et Estavayer-le-Lac. Il choisit cette voie dans les années 1990. Il faisait partie de cette jeunesse qui pensait n’avoir aucun avenir: «Je n’avais pas envie d’être inséré dans un système de production au sens économique du terme.» Il obtient une licence puis un doctorat pour lequel il vit sept années à Paris avec des séjours à Rome. Il passe ensuite le concours français de conservateur du patrimoine. En 2009, il est nommé directeur du site archéologique Lattara près de Montpellier et depuis 2015, il est directeur du Musée cantonal d’archéologie et d’histoire à Lausanne.

Une exposition sur les missionnaires romands en Afrique australe

Du 30 août au 17 novembre 2019, le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire à Lausanne présentera «Derrière les cases de la mission». Une exposition dont la particularité sera de s’appuyer sur une bande dessinée (Capitão de Stefano Boroni et Yann Karlen. A paraître). Elle sera ensuite présentée au Musée d’ethnographie de Neuchâtel durant le 1er semestre 2020. Plusieurs objets acquis auprès de DM-échange et mission seront présentés à cette occasion. «Au tournant du XIXe et du XXe siècle, la vision que l’on a de l’Afrique en Suisse romande passe essentiellement par les récits, les photos, les films des missionnaires qui donnent de nombreuses conférences dans les paroisses», explique Lionel Pernet. Une vision qui nous imprègne probablement encore aujourd’hui. Pour Lionel Pernet, les musées ont en effet un rôle de forums à jouer dans lesquels débattre de questions parfois délicates. «Le rôle de prescripteurs d’opinions que jouaient les médias a périclité. Il est devenu difficile de faire le tri entre les multiples discours. Et je crois que les musées ont un rôle à jouer en tant que producteurs d’un discours sur lequel le public peut s’appuyer avec confiance.»