"Ce qui manque aujourd'hui, c'est l'empathie"
Vous êtes petite-fille de pasteurs. Quelles valeurs en gardez-vous?
Mes deux grands-parents étaient effectivement pasteurs à Zurich. Ma grand-mère, en particulier, m’a écrit beaucoup de lettres magnifiques, et elle m’a transmis la passion de la lecture et des valeurs humanistes. Des valeurs très enracinées chez mon père, qui est devenu diplomate (…) J’ai vécu en Colombie de 1989 à 1993, alors que la violence connaissait un pic. La misère aussi, avec des enfants qui se droguaient dans la rue… Face à cela, soit on détourne le regard, soit on décide de s’engager, ce que j’ai fait. J’ai voulu témoigner, raconter ce qui se passe dans le monde.
Quelle forme a pris votre engagement?
J’ai cofondé le FIFDH en 2002 aux côtés de Léo Kaneman, qui dirigeait à l’époque le Festival Tous Ecrans, devenu le GIFF. Ensuite je suis devenue productrice, notamment de Témoin indésirable (2008), qui raconte l’histoire d’un journaliste menacé de mort. Elle témoigne des violences en Colombie. Et d’Impunity (2010), qui raconte les procès des paramilitaires. Depuis 2014, j’ai repris la direction du FIFDH.
Quelle est la force du cinéma?
On manque d’institutions qui rassemblent des gens de milieux différents –les Eglises ont aussi ce rôle-là, d’ailleurs. Ce qui manque aujourd’hui c’est l’empathie, et le film est le meilleur moyen pour la susciter. Sans compter qu’après une projection il y a un débat, chacun est invité à prendre la parole… Les films ont un vrai pouvoir de changer notre vision des choses et de nous marquer à jamais. Face aux discours sur les droits humains devenus parfois trop figés, le cinéma développe d’autres langages, suscite la surprise, et peut toucher un public jeune. Nous ne présentons pas de courts-métrages car nous pensons que par leur narration, les longs-métrages permettent de se plonger dans la complexité du réel, ils traitent les choses de manière plus profonde.
Vous proposez de nombreux débats. A une époque où s’écouter est parfois difficile, comment modérez-vous?
Oui c’est difficile aujourd’hui de parler avec des gens qui n’ont pas le même avis, mais nous canalisons l’émotion, valorisons l’écoute et l’échange avec des personnes qui ne sont pas d’accord. Nous adaptons les formes des débats aux sujets.
Quels sont les sujets essentiels que vous mettez en avant?
Nous proposons des sujets qui nous paraissent essentiels en 2019: soit des grands thèmes actuels sur lesquels on essaye d’apporter un éclairage différent, soit des thématiques oubliées, qui ne sont pas ou peu traitées dans les médias. La soirée d’ouverture du 8 mars est dédiée aux femmes défenseures des droits humains. Nous mettons en lumière celles qui risquent leur vie, notamment en Libye et en Irak.
Voyez-vous faiblir la tradition suisse de solidarité, issue notamment du protestantisme?
Pas vraiment, car les initiatives trop radicales – contre les droits humains, ou contre le service public avec No Billag – sont balayées. Il faut voir les mouvements de fond et pas les tendances. Il y a en Suisse peu de mouvements réellement ultra-populistes ou extrêmes, comme dans d’autres pays d’Europe. Et les idéaux d’humanisme et de débat restent bien ancrés. Le FIFDH les reflète. En Suisse on n’est pas tous d’accord mais tout le monde peut s’exprimer, c’est une chose qui est souvent oubliée ailleurs dans le monde.
A propos
La 17e édition du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) a lieu à Genève du 8 au 17 mars 2019. Il réunit 38'000 spectateurs sur une soixantaine d’événements, projections et débats, organisés en collaboration avec de grandes ONG (Amnesty, MSF...). A noter: le 12 mars, rencontre avec l’auteure Leïla Slimani, le 13 mars, débat autour des enjeux éthiques de la génétique, le 15 mars, rencontre avec l’auteur turc Orhan Pamuk, Prix Nobel de littérature 2006. Informations sur: www.fifdh.org/site/fr/accueil.