L’art d’aimer (Dieu)

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L’art d’aimer (Dieu)

Philippe Nicolet
19 mai 2024
L’amour chrétien ne s’élance pas vers le ciel. Un billet du pasteur retraité Philippe Nicolet, paru dans le Journal du Jura, le samedi 18 mai.

Il y a quelque temps déjà, le chanteur bernois King Pepe déclarait que c’est en s’éloignant de la congrégation religieuse dans laquelle il avait grandi qu’il avait pu progresser en matière d’amour du prochain. Et il expliquait qu’au sein de cette communauté « ce n’était pas l’être humain qui était au centre mais toujours et uniquement Dieu. Or vivre de cette manière cela ne marche pas, car tout ne cesse en définitive de reposer sur toi. Tu es constamment en tractation avec Dieu et tu demandes sans cesse : suis-je suffisamment proche de Toi dans le lien qui m’unit à Toi ? »

L’exigence d’aimer Dieu peut donc empêcher d’aimer son prochain. Le souci d’être approuvé par Dieu, le désir de lui être fidèle en toutes choses peut « polluer » la relation à autrui. Vouloir aimer Dieu et, par là même être aimé de lui, peut conduire à faire de l’autre un moyen plutôt qu’une fin.

Et le fanatisme religieux qui justifie, en proclamant un attachement exclusif et absolu à Dieu, la condamnation irrévocable, voire la mort, de l’incroyant, de l’autre différent, témoigne chaque jour, et de façon effrayante, d’un tel égarement.

Mais cette incapacité à aimer l’autre à force de vouloir aimer Dieu peut aussi se présenter de façon plus insidieuse. C’est ainsi qu’elle survient là où autrui est réduit au rôle de faire-valoir, là où, comme l’écrit le penseur danois, Søren Kierkegaard, il devient plus important pour un croyant « de passer pour riche d’amour que d’aimer. »

Et c’est encore Kierkegaard qui rappelle avec raison que « l’amour chrétien ne s’élance pas vers le ciel ; il vient du ciel et apporte le ciel ; il descend et obtient par-là d’aimer l’être humain dans tous ses changements ». Ainsi, aimer Dieu c’est être si certain d’être aimé de lui qu’il n’est plus nécessaire de se demander sans cesse comment ne pas lui déplaire, comment obtenir ou conserver ses faveurs. Aimer Dieu, c’est être libéré de toute inquiétude religieuse et pouvoir prêter pleinement attention à autrui, le rencontrer avec respect. Et n’est-ce pas précisément à cela que les disciples de Jésus sont appelés à Pentecôte lorsque, remplis de l’Esprit de Dieu descendu sur eux, ils sont rendus capables d’aborder chacun·e dans sa propre langue ?