Dieu au bistrot: après le café-philo, le café-religion

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Dieu au bistrot: après le café-philo, le café-religion

19 mai 2000
Au moment où la fréquentation des Eglises semble au plus bas, la religion fait son apparition dans les cafés où des groupes se réunissent pour des discussions passionnées sur la divinité et les spiritualités
Qui est Dieu? Qu'est-ce que la liberté? Peut-on aimer ses ennemis? Pour guider la réflexion, pasteurs, prêtres et évêque n'hésitent pas à donner la réplique à une assemblé où se mêlent croyants et athées. Récit de quelques expériences à Fribourg, Genève et Paris, auprès de toxicomanes et au cœur de Pigalle."Dieu a-t-il fait une gaffe en créant des hommes libres"?, lance une dame à Bernard Genoud, évêque de Lausanne-Genève et Fribourg, lors de sa dernière rencontre avec la population de Fribourg dans un café de la ville. La quarantaine de personnes réunies est suspendue à ses lèvres. "Dieu ne s'est pas privé de créer des êtres qui lui obéissent au doigt et à l'oeil, plantes, animaux. Mais comme il est amour, il a aussi voulu créer des êtres libres, à son image, qui puissent librement choisir d'aimer leur prochain." C'est en mars dernier que l'évêque a inauguré un rendez-vous mensuel au café au Belvédère au cours duquel il s'attache répondre aux questions religieuses et existentielles de son auditoire. Fort de ses talents didactiques, il a réussi à attirer un large public et à initier une réflexion souvent très profonde. "Il nous arrive de monter très haut dans la spiritualité. C'est très émouvant", commente-t-il dans une récente interview.

Des initiatives semblables ont vu le jour en plusieurs endroits de Suisse romande ainsi qu'en France, marquant le retour en force de la religion dans les préoccupations les gens, après deux décennies de discrédit consécutif à mai 1968. On ne craint plus d'évoquer la religion au café, dans les écoles, au travail: "On assiste à un changement culturel, explique le pasteur Christian Garin. Le thème de Dieu ne fait plus peur". Enseignant à l'Ecole supérieur de travail social (IES) de Genève, Alain Simonin dresse le même constat: "Le sujet n'est plus tabou. Le lien entre le travail social et la religion intéresse de plus en plus d'étudiants".

§Foi et travail socialL'un d'eux, Vincent Lechaire, a créé dans le cadre de l'IES un café-religion où les participants peuvent confronter leurs visions de la vie et apprendre à connaître les différentes traditions religieuses. Protestant de La-Chaux-de-Fonds, le jeune homme établit un lien étroit entre ses études et son engagement dans l'Eglise: "Dans ma formation d'assistant social, la tolérance est une valeur cardinale. L'apport du christianisme m'a permis de comprendre que la vraie tolérance passe par la confrontation avec les valeurs d'autrui, non comme c'est trop souvent le cas, par leur ignorance ou l'indifférence. Les rencontres que j'ai mises sur pied sont un première étape dans ce sens, où l'on cherche déjà entre étudiants à apprendre à nous connaître, et à accepter nos différences".

§Un café au TempleGuidés par le même souci de transmettre la culture chrétienne, les pasteurs Roland Benz et André Normandin ont ouvert début 1999 un bistrot dans le Temple de Plainpalais, à Genève: le Back-Nef Café. Ils y invitent tous les mercredis un "conférencier" à débattre avec des jeunes d'un thème religieux ou non: "Ce type de rencontres permet d'abolir la barrière entre un adulte censé savoir, et des jeunes qui ne savent rien, commente Guy Lecomte, professeur au Collège de Genève, qui a récemment animé une soirée au Back-Nef Café autour de la vie de Jésus. J'ai passé un excellent moment avec eux. Ils étaient très réceptifs, avec une réflexion personnelle autour de Jésus". Une impression positive que partage la diacre Anne Coïdan, venue récemment au Back-Nef Café présenter une communauté chrétienne d'handicapés: "Les jeunes étaient très touchés. Ils n'avaient pas de gêne vis-à-vis des handicapés".

§Religion en bateauSi la religion a franchi l'enceinte des églises, on ne s'attend pas forcément à la retrouver dans les préoccupations des marginaux et des toxicomanes. C'est pourtant ce qui a eu lieu le 20 mai dernier à bord du Bateau Genève, un bâtiment ancré au cœur de la rade et destiné aux personnes en rupture sociale. Lors d'une journée intitulée "La dérive un enjeu spirituel", ils ont échangé avec un pasteur leur conception de la divinité: "ils se sont sentis valorisés qu'on puisse leur demander de s'exprimer sur ce thème, qu'on s'intéresse à leur réflexion sur un tel sujet", explique le pasteur Michel Schach. Il est apparu que Dieu n'était pas absent de la vie des personnes à la dérive et que les blessures répétées et les séjours en prison ne supprimaient pas la foi: "C'était un des grands enjeux de cette journée, poursuit Michel Schach, tenter de cerner la place de Dieu dans une existence chaotique, où l'on n'arrête pas de prendre des coups".

§Imitation du ChristA Paris, l'Eglise affirme aussi sa présence aux côtés des personnes déracinées, souffrant de solitude, en perte de repères existentiels. Situé en plein cœur de Pigalle, "Le Bistrot du Curé" a été ouvert il y onze ans à l'initiative d'un groupe de prêtres. Loti entre deux sex-shops il accueille nombre de marginaux dans un cadre chrétien ouvrant un espace de discussion, sans prosélytisme: "C'est un lieu spirituel dans un environnement consacré au sexe", souligne le prêtre Dominique Rey. Les clients peuvent aussi se recueillir dans un oratoire situé à l'étage, ou partager un moment de confidence avec l'un des deux cents bénévoles qui se relaient pour le service. Intégrée à la paroisse de la Trinité, "Le Bistrot du curé" manifeste la volonté de certains membres du clergé de rejoindre les fidèles sur lieu de vie: "Dans le fond, c'est ce que pratiquait Jésus. Il allait partout puisqu'il n'y avait pas encore d'Eglise constituée. Même là où l'on n'aime guère les grands discours et où la religion n'est pas toujours bien vue", termine Alain Simonin.