Français à la plage: favoriser l’intégration, au soleil

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Français à la plage: favoriser l’intégration, au soleil

Pierre Pistoletti
19 juillet 2018
Du 9 juillet au 3 août, la plage d’Yverdon-les-Bains accueille des étudiants venus de Syrie, d’Érythrée, d’Angola ou encore d’Uruguay pour apprendre le français, première étape d’un long processus d’intégration.

Photo: Sebastian Zadory (à gauche), professeur de français et Behajdin Bruti, agent d’intégration ©Pierre Pistoletti

, Cath.ch

Fin d’après-midi gorgée de soleil au sud du lac de Neuchâtel. À quelques dizaines de mètres des cris d’enfants et des linges de bain, une quarantaine d’hommes, de femmes et d’enfants suivent un cours de français gratuit de deux heures, proposé par le Service de la jeunesse et de la cohésion sociale d’Yverdon-les-Bains. Quelques minutes avant le début de la leçon, on s’active pour mettre en place les tableaux et quelques couvertures à l’ombre d’un petit bosquet.

«Le service social propose une offre variée, explique Katja Blanc, déléguée à l’intégration pour la commune du Nord vaudois. Mais il reste quelques trous. Et c’est là que nous situons notre action». Le trou en question: l’offre de cours de français accessibles durant l’été. Et la demande est bien là. Elaborés en 2014, les quatre premières éditions des «cours de français à la plage» ont intéressé 245 personnes de tout âge venus des quatre coins du monde.

Une communauté bigarrée

Dispensé tous les jours de la semaine sauf le week-end, du 9 juillet au 3 août, le cru 2018 rassemble une petite communauté estudiantine bigarrée. La première semaine arrive à son terme et les habitudes sont déjà prises. Chacun rejoint son groupe attitré, selon sa maîtrise de la langue. Une majorité d’étudiants en est aux balbutiements alors qu’une dizaine est déjà tout à fait capable de tenir une conversation.

Thème du jour: le logement. «Prenez chacun un journal, nous allons éplucher les annonces immobilières», propose aux étudiants avancés Virginie Meisterhaus, comédienne et professeure de français. À quelques pas, son homologue en short et t-shirt enseigne les fondamentaux. «Quelles pièces trouve-t-on dans une maison?» demande Sebastian Zadory. «Une cuisine», «une salle de bains», «un salon», les réponses fusent et les accents se mélangent. Syrie, Portugal, Érythrée, Angola, Macédoine, Uruguay, les participants viennent des quatre coins du monde, chacun avec son histoire et ses attentes — accès à une Haute École à la rentrée de septembre, recherche d’un emploi ou quête d’une terre d’accueil.

Le français et l’autonomie

Les cours visent l’acquisition d’une double compétence. Au-delà de l’apprentissage du français, ils sont aussi l’occasion de se familiariser avec la culture locale, les impératifs du quotidien, les institutions communales et politiques. Le tout, à travers des questions concrètes. En l’occurrence, pour le groupe avancé, la constitution d’un dossier en vue de la location d’un appartement. «Si vous trouvez un appartement, vous pouvez sortir le champagne», lance Virginie Meisterhaus en témoignant de ses propres difficultés. «Une chose est certaine: ne versez jamais d’argent à qui vous le demande pour déposer un dossier. C’est une arnaque!» «C’est quoi une arnaque?» «C’est un acte malhonnête d’une personne qui cherche à vous voler.»

«Le problème, c’est l’attestation de salaire, reprend une participante. Qu’est-ce qu’on fait lorsqu’on n’a pas de salaire?» «Vous pouvez passer à la commune, qui peut vous fournir différents soutiens», explique Katja Blanc à l’ensemble du groupe. Quant à l’extrait de l’Office des poursuites, il peut être demandé à la poste. «Elle est où la poste? À côté de la Migros»? «Non, à côté de la gare.»

L’intégration passe par l’autonomie. Behajdin Bruti et Katia Virgolin sont là pour en témoigner. Mandatés par la commune comme agents d’intégration, «leur rôle est d’encourager par leur propre exemple une attitude citoyenne, résume Katja Blanc. En partageant de leur savoir-faire et de leur savoir-être sans contrepartie».

Le chemin de l’intégration

«Je suis arrivé en Suisse il y a 35 ans, confie Behajdin Bruti. Je ne parlais pas un mot de français, comme la plupart des personnes qui sont là aujourd’hui». En quelques mois, il ajoutait la langue de Molière à son catalogue impressionnant — polyglotte, Behajdin Bruti maîtrise le turc, l’albanais, le serbo-croate, l’italien et l’anglais. «Des gens m’ont accueilli. On m’a donné une place», explique-t-il avec beaucoup de reconnaissance et un brin d’émotion. «Je suis là pour souligner le positif, valoriser les gens, leur parcours, leur culture, ainsi que les institutions et les habitudes du pays qui les accueille». L’enjeu: éviter l’assimilation et viser une véritable intégration.

Mais comment la définir? Pour Katia Virgolin, il ne s’agit pas d’un hypothétique acquis, atteint une fois pour toutes et figé, mais d’un horizon vers lequel on ne cesse d’avancer, une vie durant, avec ses réussites et ses échecs. Il s’agit, pour cette Brésilienne établie en Suisse, d’avancer avec l’hôte, non pas l’un devant l’autre, mais côte à côte, munis de deux «ingrédients» indispensables: la volonté et l’empathie.

Reste une dernière question: apprend-on mieux le français entre les murs d’une salle de classe ou au bord de l’eau? Incontestablement sur la plage d’Yverdon, sourit une jeune maman. «Je peux venir avec mes enfants qui s’amusent un peu plus loin et je peux suivre les cours sans trop m’en occuper. Ce ne serait pas possible en classe».

La semaine prochaine, le cours devrait se dérouler dans des conditions d’ensoleillement optimales pour aborder un autre thème, tout aussi important: il sera question de santé et de rendez-vous chez le médecin.