Le pape à Genève: un encouragement aux collaborations entre Églises partout dans le monde
Photo:Bernard Hallet/cath.ch
Propos recueillis par Joël Burri/Protestinfo et Raphaël Zbinden/cath.ch
Pourquoi est-ce que cette visite du pape est importante?
Ce qui me paraît important, c’est que la visite du pape réaffirme les bonnes relations et les nombreuses coopérations entre l’Église catholique romaine et le Conseil œcuménique des Églises (CEO). Par cette visite, le pape rappelle que le COE est un partenaire important pour l’Église catholique romaine. Mais si nous qualifions cette visite de jalon, c’est aussi parce que c’est un point à partir du quel nous ne reviendrons pas en arrière. Nous devons aller de l’avant en matière de travail commun et de témoignage: les Églises du monde ont une foi commune et un engagement commun en faveur de la justice, de la paix, une attention particulière commune pour les plus défavorisés.
Je pense que la visite du pape permettra de renforcer ce programme, non seulement ici à Genève ou à Rome, mais partout dans le monde, car si le pape rend visite au COE et témoigne ainsi de l’importance que cela a de collaborer, pourquoi est-ce que les Églises ne pourraient pas travailler ensemble en Norvège, en Colombie ou Soudan du Sud. Je pense que cela aura un effet important sur les collaborations locales, partout dans le monde.
Vous parlez beaucoup d’«agir ensemble», mais dans le domaine de la théologie, est-ce que les rapprochements entre les différentes Églises ne sont pas un peu au point mort?
Les questions théologiques sont traitées par la Commission de Foi et constitution dont l’Église catholique romaine est membre de plein droit. Les textes produits par ce groupe au fil des ans sont influencés par divers théologiens catholiques. Par exemple, le texte de 1993 sur la baptême et l’eucharistie met en lumière de façon très complète ce que les différentes Églises enseignent autour de ces pratiques. Cela a permis de prendre conscience des nombreux points de convergences et conduit à de réelles avancées œcuméniques en termes de théologie.
Depuis, le groupe élabore un document similaire sur le concept même d’Église. Ce travail a également permis de montrer nos similitudes. Il reste d’importantes différences sur comment les protestants, les catholiques et les orthodoxes perçoivent leur rapport au ministère et à la place de l’Église dans le monde. En particulier, le rôle du pape chez les catholiques romains et la nécessité de se placer sous son autorité pour être vraiment dans l’Église reste un point de divergence. Mais cela n’empêche pas de poursuivre les discussions tant en commun qu’en bilatéral entre Églises.
Dans le fond, qui est le pape, pour vous?
Comme secrétaire général du COE, je le vois comme le chef de la plus grande communauté chrétienne au monde. Il a ce devoir particulier de maintenir unie cette communauté dans le respect de notre foi chrétienne et dans le respect de l’appel fait aux croyants de servir le monde. Et l’importance qu’il a donnée à ces questions est un exemple pour les autres Églises. Il est le responsable chrétien qui a la plus large audience et les chrétiens dans leur ensemble peuvent se reconnaître en lui quant à l’importance qu’il accorde à l’unité et quant à l’image qu’il donne de l’Église soucieuse des plus démunis. J’ai donc beaucoup de respect et de gratitude pour lui.
Vous présentez vos relations avec le pape comme un cheminement. Est-ce qu’au bout du chemin, le but est de voir l’Église catholique romaine adhérer au COE?
Notre objectif n’est pas de devenir une grande Église ou une grande organisation. Notre objectif, c’est de créer du lien entre les Églises. Par ailleurs, il y a différentes expressions de l’unité et l’appartenance institutionnelle n’en est qu’une parmi d’autres.
Mais est-ce que cela n’est pas plus facile à dire ici à Genève où les Églises vivent en bonne harmonie que dans d’autres régions du monde?
Quand j’étais enfant, on m’a appris que les catholiques ne sont pas vraiment des chrétiens. Ce n’était pas ce que disaient mes parents, mais je l’ai entendu dans l’Église luthérienne norvégienne où j’ai grandi. Donc même en Europe, ce que nous vivons aujourd’hui n’était pas évident il y a seulement quelques dizaines d’années. Les choses ont beaucoup changé au cours des 50 derniers ans. C’est vrai qu’il reste des défis importants, par exemple en Amérique latine où l’Église catholique romaine est très importante et les autres Églises très minoritaires. Mais par contre, en Afrique où les différences de taille entre les communautés ne sont pas si importantes, on assiste à des collaborations magnifiques, plus fortes que ce que l’on peut voir en Europe. Par exemple, au Soudan du Sud les Églises sont très liées dans leur travail pour la paix, les divisions ne sont pas provoquées par les appartenances religieuses, mais par les appartenances aux différentes tribus.
Quel est votre rôle comme secrétaire général du COE?
J’ai trois fonctions: conduire le travail de l’organisation et gérer le personnel. Deuxièmement, j’ai une responsabilité pastorale, nous sommes une communion de croyants et nous partageons notre foi. Je dois donc régulièrement prêcher. Mais même en dehors des relations avec les Églises, par exemple avec les diplomates ou les politiciens, il me semble important de me présenter avant tout comme une personne de foi. Et enfin, il me semble important d’être un partenaire pour tous ceux qui partagent les mêmes objectifs que nous, que ce soit des Églises, d’autres religions, des organisations humanitaires, ici à Genève. Nous sommes nombreux à avoir des engagements proches et nous pouvons collaborer. C’est aussi mon rôle de montrer que nous pouvons être un partenaire fort en matière de droits humains, de défense de la paix, de la santé, de l’intégration, de défense de la Création, etc.
Cette rencontre est qualifiée de «pèlerinage», pourquoi?
Le pape y tenait aussi. Cela permet de montrer que c’est une visite qui est de l’ordre de la vie de foi. Ce n’est pas une rencontre entre partenaires commerciaux, mais entre frères et sœurs. Nous faisons cela dans la prière et la foi. Pour nous, cela tombe plutôt bien puisque durant les cinq dernières années nous avons placé tous nos programmes dans la perspective d’être tous ensemble dans un pèlerinage pour la justice et la paix. C’est aussi une façon de dire que nous voulons bouger, que nous sommes ouverts au changement.
En 2000, le Vatican a publié la déclaration Dominus Iesus qui réaffirme que l’Église catholique romaine est la seule Église. Les autres Églises ne sont que des «communions ecclésiales». Cette visite du pape apporte-t-elle un changement?
Que dit le «body language» de la visite du pape? Il quitte Rome pour venir nous rencontrer en tant que communion d’Églises à Genève. Cela prouve donc qu’il reconnaît de façon forte que nous sommes des Eglises et que nous avons des choses en commun. Après, il y a différentes façons d’interpréter Dominus Iesus. Pour certains, c’est un document destiné principalement à un usage interne à l’Église catholique romaine, il sert à renforcer la cohérence de l’Église. En cela le lire de l’extérieur revient à en faire une interprétation plus étendue que ce pourquoi il a été écrit. Probablement, je partage en partie cette explication.
Mais j’accorde une importance particulière au «body language» de cette visite. Nous sommes reconnus comme Églises, si l’on ne s’attarde pas trop sur la définition que l’on donne à «Église». Cette visite est un message que les fidèles vont comprendre, et qui va marquer. Nous garderons les images en mémoire et l’on oubliera les textes.
Mais pour nous aussi, il y a une reconnaissance de l’Église catholique romaine comme d’une Église. Pour certains protestants, cela reste un défi, y compris pour certains membres du COE. Alors c’est aussi quelque chose que nous voulons dépasser grâce à cette visite. Nous espérons être reconnus comme frères et sœurs par les catholiques romains, mais nous voulons aussi les reconnaître comme des frères et sœurs. Et je pense que le fait que le pape vienne comme un frère va avoir un impact pour promouvoir cette vision de nos relations. Il ne s’agit toutefois pas d’ignorer nos difficultés et nos différences.