Les vaudois ont un saint, mais ne le savent pas
Photo: Pierre Cérésole (1879-1945), LDD
Imaginez que vous êtes le fils d’un président de la Confédération. Un diplôme d’ingénieur mécanicien en poche avec félicitations de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich, vous le complétez par un grade de docteur en philosophie sur un sujet de mécanique. La prestigieuse université zurichoise vous propose un poste que vous déclinez. Puis vous héritez de 48 actions Nestlé, l’équivalent de 3,5 millions de francs suisses. Vous les refusez et les renvoyez au Conseil Fédéral, mentionnant «Je vous renvoie ci-joint les titres que j’ai reçus en héritage de mon père, espérant que les évènements actuels suffiront sans autre commentaire à expliquer les motifs de cette restitution». C’est ce qu’a fait Pierre Cérésole, nous sommes le 12 novembre 1914 il a alors 35 ans.
Son pacifisme aura été décisif à l’histoire de l’Europe. Radical, dans le refus des faux semblants, Pierre Cérésole est une figure oubliée des Vaudois. Ce précurseur illustre la mise en action qui s’appuie sur une foi profonde, exigeante à l’exemplarité de ses choix de vie. On lui doit la mise sur pied du Service civil international (1920) puis celle du Centre suisse pour la paix (1924).
L’homme pourrait être considéré pour ce qu’il n’est pas. Son pacifisme provient de sa foi intransigeante, obsession de Cérésole qui écrira «il y a dans l’Eglise deux mensonges que nous ne pouvons plus supporter et dont il faut se débarrasser à n’importe quel prix par n’importe quel moyen: c’est le mensonge du chrétien militaire et le mensonge du chrétien riche. Le militaire et le riche peuvent être aujourd’hui tout ce qu’on veut, entre autres des braves gens, des gens de cœur et d’affection profonde, mais ils ne peuvent plus être des chrétiens.»
Face au chrétien riche, un seul acte devient possible: échapper au déterminisme de sa classe sociale privilégiée en se dépouillant de l’héritage paternel.
Quant au mensonge du chrétien militaire, pas de fausses solutions pour l’ingénieur qui va droit au but: seule vaut l’œuvre de la paix. Refusant de payer ses taxes militaires alors qu’il est exempté en pleine première guerre mondiale, l’homme s’engage sans concession. Il fera de la prison pour cet acte d’intégrité, mais en exigera autant d’autrui. Cet objecteur à qui l’on doit le service civil n’est pas un anarchiste. C’est un croyant que sa foi engage tel un révolutionnaire. Il attaquera l’Eglise et en des termes durs «Elle est devenue objet de mépris et d’horreur, pour beaucoup croire en Dieu est une expression grotesque». Pierre Cérésole est-il le dernier saint vaudois?
Publication d’un ouvrage inachevé
«Pierre Cérésole, le dernier saint vaudois?» est un ouvrage de Jean Corminboeuf édité par Bernard Antoine Rouffaer aux éditions A-Eurysthée. C’est un petit livre surprenant, mais l’éditeur a fait le choix de reproduire le travail inachevé de Pierre Corminboeuf. Découvrant l’existence du Fonds Pierre Cérésole à la Bibliothèque Cantonale de Lausanne, des dizaines de cartons constitués des notes, de photos, de textes et de correspondance de Cérésole durant ses nombreux voyages, l’auteur tente de montrer le cheminement spirituel et l’ascension du dernier saint vaudois.
Si le lecteur se perd parfois, l’éditeur a su en prendre le risque pour faire revivre celui qui est à l’origine du service civile suisse, oublié un peu trop rapidement par ses compatriotes.
«Pierre Cérésole, le dernier saint vaudois?», Jean Corminboeuf, préface Alain Clavien et commentaire Bernard Antoine Rouffaer. Editons A-Eurysthée