Un gâteau de mariage pour la Cour suprême

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Un gâteau de mariage pour la Cour suprême

Kimberly Winston
12 octobre 2017
L’affaire qui oppose un couple homosexuel et un boulanger reprendra cet automne, aux Etats-Unis
Le pâtissier avait refusé de réaliser un gâteau pour leur mariage, stipulant que ce genre d’union s’opposait à ses croyances.

Photo: CC (by) Joel Kramer

(RNS/Protestinter)

Parfois, un gâteau de mariage est tout simplement délicieux. Et parfois, il représente une bataille au sujet du Premier Amendement. Ce nouveau trimestre, qui a débuté lundi 2 octobre, la Cour suprême entendra le fabricant de gâteau Masterpiece Cakeshop contre la Commission des droits civils du Colorado, dans «l'affaire des gâteaux». Elle a débuté en 2012, alors que deux hommes homosexuels se sont rendus dans une boulangerie de Lakewood, au Colorado, à la recherche d’un gâteau pour leur mariage.

Le propriétaire de l’établissement, qui était chrétien, les a refoulés. L'affaire a été portée devant les tribunaux et n’est pas encore terminée. Quels arguments vont soutenir chacun des partis? Est-ce que ce sera une décision qui fera jurisprudence?A quel moment un gâteau n’est plus seulement une gourmandise, mais devient l’expression de croyances religieuses? Interrogeons-nous sur cette affaire.

Quels sont les faits?

En 2012, David Mullins et Charlie Craig, un couple gay de Denver, ont voulu acheter un gâteau de mariage réalisé par la maison Masterpiece Cakeshop. Le propriétaire et boulanger, Jack Phillips, a refusé de leur en réaliser un en disant que ce dessert violerait ses croyances chrétiennes. Le couple a porté plainte pour discrimination contre Jack Phillips et a gagné devant la Commission des droits civils du Colorado et dans les tribunaux d'état.

Que plaidera le boulanger?

Les avocats de Jack Phillips ont fait valoir que deux de ses droits contenus dans le Premier amendement, la liberté de religion et la liberté d'expression, avaient été violés. Ils ont perdu. Les experts prédisent que les avocats du pâtissier mettront l'accent sur la question de la liberté d'expression devant la Cour suprême parce qu’il est plus fort que l’argument de la religion, Jack Phillips se considérant comme un artiste qui s'exprime à travers des gâteaux.

Pour gagner avec l'argument de la religion, les avocats devraient prouver que les lois antidiscriminatoires du Colorado ne sont pas neutres sur le plan religieux et qu'elles «accablent» les personnes d’une religion en particulier. Mais les tribunaux, dans le passé, ont soutenu que ces lois étaient neutres. Ainsi, l'angle de la liberté d'expression peut être plus fort.

Les avocats de Jack Phillips peuvent faire valoir que ses gâteaux sont une forme d'art et l'art est une forme de discours, de sorte que la loi ne peut l'obliger à faire un discours - ou un gâteau – qui soutient le mariage homosexuel. David Cortman, un des avocats, a déclaré au New York Times: «Tous les Américains devraient pouvoir choisir librement quelle forme d’art ils créent ou pas sans crainte d'être injustement punis par le gouvernement».

Et quels arguments utilisera le couple?

Les avocats du couple n’acceptent pas que le gâteau soit perçu comme un discours. Ils affirment que Jack Phillips a fait preuve de discrimination dans la mesure où certaines entreprises discrimineraient les Noirs et les autres minorités, refusant de les servir ou de leur vendre des pâtisseries.

Qui va gagner?

Certains spécialistes du droit estiment que Jack Phillips peut garder espoir en se référant à la décision du tribunal de 2010 dans l’affaire Citizens United contre la Commission électorale fédérale, qui a établi que les entreprises disposaient de liberté de parole. Et il existe un long précédent juridique qui interdit au gouvernement d’imposer un discours.

«Il semble clair qu'un boulanger ‘pro-vie’ ne pourrait pas être forcé par l'Etat de fournir un gâteau pour une fête de bureau de l’association «Planned Parenthood» qui soutient le droit à l’avortement avec l'inscription ‘pour le choix’», a écrit Eric Segall, professeur de droit à l'Université de Géorgie, sur le blog de la Cour suprême. «Que les gâteaux de mariage de Jack Phillips soient suffisamment communicatifs pour justifier une protection similaire, ou si l'intérêt du Colorado pour lutter contre la discrimination envers les homosexuels s’avère suffisamment convainquant pour neutraliser cette protection… ce sont des questions difficiles, mais elles concernent exclusivement la liberté d'expression, et non la religion».

Le couple fait aussi référence à des affaires précédentes. Ils mettent l'accent sur un cas datant d’il y a 50 ans où un restaurateur de Caroline du Sud a soutenu qu'il pouvait refouler les clients afro-Américains parce que sa religion s’opposait à la mixité raciale. Le propriétaire a affirmé que sa sauce barbecue était une forme d'expression artistique. Il a perdu.

L'ancien avocat général des Etats-Unis, Gregory Garre, a félicité les avocats de Jack Phillips pour «leur travail efficace consistant à convertir un cas de mariage homosexuel en une question de liberté d'expression». «Mais d’un autre côté», a-t-il ajouté à la radio publique américaine (NPR), «c’est aussi la passionnante histoire de notre société, le compromis autour des lois qui est une sorte de Saint-Graal recherché par la Cour suprême dans ces décisions».

A quoi faut-il faire attention?

Tous les regards devraient se poser sur le juge Anthony Kennedy. A 81 ans, il est le deuxième plus ancien juge de la cour. Il est conservateur, sauf lorsqu'il ne l'est pas. En effet, Anthony Kennedy s'est rangé du côté des juges les plus libéraux de la cour dans plusieurs affaires marquantes, comme celle d’Obergefell contre Hodges, la décision de 2015 qui a fait du mariage homosexuel la loi du pays. Mais il s'est rangé du côté des conservateurs dans le cas Burwell contre Hobby Lobby, une décision selon laquelle la chaîne chrétienne de magasins d'artisanat peut refuser la vente de contraceptif.

Plusieurs de ses assistants ont spéculé qu’il prendrait bientôt sa retraite et pourrait être soucieux de ce qu’il va laisser derrière lui. «C’est un cas où la décision va dépendre d’une seule personne: la justice de Kennedy», a ajouté Gregory Garre. La Cour suprême entendra probablement des plaidoiries en décembre et rendra une décision d'ici juin 2018.