Des marabouts ougandais sacrifient des enfants

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Des marabouts ougandais sacrifient des enfants

3 octobre 2017
Malgré les efforts du gouvernement, de soi-disant guérisseurs pratiquent des sacrifices humains, en Ouganda
Ces rituels sont liés à des croyances ancestrales.

Texte et photo par Doreen Ajiambo, (RNS/Protestinter)

Katabi, Ouganda - Jackline Mukisa sanglotait en décrivant comment son fils de 8 ans avait été retrouvé dans un marécage voisin en février dernier sans dents, ni lèvres, ni oreilles et ni organes génitaux. «Mon fils innocent est décédé d'une mort douloureuse», a insisté cette mère de 28 ans. «Pourquoi avoir assassiné mon fils?» Un motocycliste a proposé à John Lubega de le ramener de l'école, selon les camarades qui l'ont vu en dernier.

Ses restes suggèrent qu'il a été lentement tué dans le cadre d'un rituel de sacrifice humain exécuté par des marabouts, apparemment pour apaiser les esprits, a constaté Jackline Mukisa, qui a porté plainte auprès de la police. Aucune arrestation n’a eu lieu jusqu’à maintenant. En Ouganda, pays enclavé dont les paysages variés comprennent les montagnes enneigées Ruwenzori et l'immense lac Victoria, beaucoup pensent que les rituels sacrificiels peuvent rapporter rapidement richesse et santé.

Parmi ces rituels, le sacrifice humain, en particulier des enfants, se produit souvent malgré les efforts du gouvernement pour l'arrêter. Sept enfants et deux adultes ont été assassinés l'année dernière, a déclaré Moses Binoga, un agent de police qui dirige le groupe de travail contre le sacrifice et la traite des êtres humains en Ouganda. En 2015, ce sont sept enfants et six adultes qui sont décédés. Toutefois, les experts ont souligné que le nombre de victimes pouvait être nettement plus élevé.

Sécheresse et famine

Les temps sont difficiles en Ouganda, et les gens cherchent des sacrifices pour leur porter chance. La pire sécheresse depuis un demi-siècle a touché des parties de l'Afrique de l'Est, laissant plus de 11 millions de personnes face à l'insécurité alimentaire et 1,6 million au bord de la famine, selon le gouvernement ougandais. «Il n'y a plus de nourriture en raison de la sécheresse et certains croient que c’est à cause d’esprits ancestraux», a expliqué Joel Mugoya, un guérisseur traditionnel. «Les gens cherchent à faire des sacrifices pour résoudre ce problème».

Récemment, la police ougandaise a arrêté 44 suspects à Katabi, une ville située à 39 kilomètres de la capitale, Kampala, dans le cadre d'une série de tueries d'enfants et de femmes. La moitié des suspects ont été inculpés devant la justice, y compris les deux prétendus cerveaux du groupe. L'inspecteur général de la police ougandaise, Kale Kayihura, a déclaré qu'un suspect a avoué avoir tué huit femmes. «Plus de 21 femmes ont été tuées entre le 3 mai et le 4 septembre dernier. Les meurtres s’apparentent à des sacrifices rituels», a-t-il déclaré aux habitants de la région. «Nous travaillons dur pour arrêter les autres suspects et mettre fin à ces pratiques».

Un habitant, Francis Bahati a découvert le corps de sa femme après trois jours de recherche. Ses doigts et ses pieds avaient été coupés à des fins rituelles. «J'ai été tellement choqué que j’ai perdu connaissance», a-t-il raconté. L'année dernière, la police a arrêté Herbert Were, un résident de la ville de Busia, dans l'est de l'Ouganda, pour avoir décapité son frère de 8 ans, Joel Ogema. Herbert Were, âgé de 21 ans, a avoué à la police avoir tué son petit frère dans l'espoir d'obtenir des richesses.

Une alliance entre l’Eglise et la police

Les dirigeants des Eglises font équipe avec la police pour mettre fin ses pratiques brutales. Le pasteur Peter Sewakiryanga, qui dirige Kyampisi Childcare Ministries, une organisation chrétienne qui lutte contre le sacrifice d'enfants en Ouganda, a rapporté que des enfants disparaissaient chaque semaine dans le pays. Ils sont souvent retrouvés morts. Parfois, ils sont vivants, mais profondément mutilés, et certaines parties de leur corps ont disparu. La plupart des survivants ne déposent pas plainte, a constaté Peter Sewakiryanga, implorant les victimes de le faire. «C'est un grave problème, mais nous luttons avec l'aide du gouvernement».

Les sacrifices impliquent souvent l'élimination de parties du corps, de sang ou de tissus alors que l'enfant est toujours en vie. «Ce sont des rituels brutaux qui détruisent la vie de nos enfants et affectent mentalement leurs parents», a-t-il ajouté. «Nous travaillons avec la police pour arrêter les sorciers impliqués. Nous aidons également les survivants financièrement et moralement».

Ce pasteur a expliqué que son organisation avait travaillé avec la police ougandaise, il y a trois ans, pour arrêter un sorcier et ses complices qui ont sacrifié une fillette de 7 ans nommée Suubi. Le marabout avait vidé son sang et coupé ses organes génitaux. Puis, il s’en était pris à son frère de 10 ans, Kanani, et l’avait vidé de son sang en lui coupant la gorge. Ce sorcier a été condamné à la prison à vie, en juin dernier.

Préserver les médecins traditionnels

Par ailleurs, la peur des sorciers a des répercussions sur le travail des femmes qui pratiquent la médecine traditionnelle. Selon KidsRights, une organisation mondiale qui lutte pour les droits des enfants, l'Ouganda compte 650’000 guérisseurs traditionnels enregistrés et environ 3 millions de praticiens non enregistrés. Les sorciers sans scrupules se cachent parmi les soi-disant guérisseurs, selon cette organisation. «Ils devraient arrêter les personnes qui ont tué mon fils», a imploré Jackline Mukisa. «Le gouvernement fait peu pour protéger nos enfants. Ils doivent absolument arrêter tous les sorciers».

Selon Peter Sewakiryanga, l'arrestation de toutes les personnes qui prétendent pratiquer la médecine va trop loin. «Par contre, nous devons renforcer nos efforts pour mettre fin à ces pratiques». D'autres pays sont impliqués dans les sacrifices d'enfants comme la Tanzanie, le Nigéria, le Swaziland, le Libéria, le Botswana, l'Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe.