Les protestants méconnaissent –voire se méfient– de la méditation
Pour Daniel P. Coleman, chroniqueur de l’agence de presse américaine «Religious news service» le succès actuel de la méditation pleine conscience bouddhique permet aux chrétiens de renouer avec les pratiques méditatives connues de longue date par certaines traditions chrétiennes.
Photo: CC(by-nc) Mitchell Joyce
«Dans 1000 ans, quand un historien travaillera sur le XXe siècle, il s’intéressera probablement davantage aux interpénétrations entre bouddhisme et christianisme qui ont eu lieu durant ce siècle qu’au conflit idéologique entre démocratie et communisme», prédisait en 1954 l’historien Arnold Toynbee. Les interactions entre bouddhisme et christianisme sont de plus en plus flagrantes dans le monde occidental. Et cela représente un potentiel pour revigorer une Eglise qui s’essouffle.
Le déclin de la chrétienté dans les nations occidentales est désormais indéniable. L’un des marqueurs de cette chute est l’augmentation du nombre de personnes qui se déclarent «sans confession» ou «non pratiquants». Par ailleurs, le bouddhisme prolifère tant en Amérique du Nord, qu’en Europe qu’en Austalie ou qu’en Nouvelle-Zélande. Dans les pays occidentaux, les différentes formes de bouddhisme —dont le bouddhisme zen, tibétain, theravada ou la terre pure— se mêlent d’une façon encore jamais vue dans l’histoire. En conséquence, une forme entièrement nouvelle de bouddhisme émerge. Elle remplace intentionnellement les valeurs culturelles et les ornements asiatiques par des formes plus occidentales, mais elle conserve les enseignements et les pratiques bouddhiques fondamentaux. L’exemple le plus clair de cette tendance est le mouvement de pleine conscience.
La pleine conscience ou méditation Vipassana est une pratique dérivée du bouddhisme dans laquelle on développe des capacités d’attention ciblée en observant son souffle et toutes ses activités physiques (telles que marcher ou se nourrir). En développant cette compétence, le pratiquant parvient à se décentrer du flux des pensées qui traverse son esprit pour les observer de manière dépassionnée. Cela provoque un sentiment d’espace entre le soi intrinsèque et son flux de réflexions.
Le bénéfice de la pratique de la pleine conscience est la capacité à voir ses pensées pour ce qu’elles sont: des choses momentanées et éphémères qui ne nous définissent pas et qui ne reflètent pas très bien la réalité. Nous réalisons également combien de temps nous consacrons à ruminer le passé, à nous inquiéter de l’avenir ou à faire des scénarios imaginaires plutôt que de nous engager dans le moment présent. Développer l’habileté pratique de la pleine conscience, conduit à un sentiment de calme, de clarté morale, de simplicité, de conscience, de liberté.
Une pratique chrétienne…Les anciens moines chrétiens du désert pratiquaient quelque chose de très semblable à la pleine conscience. Ils l’ont appelé népsis, c’est-à-dire la vigilance des pensées. S’appuyant sur l’enseignement de Jésus dans Matthieu 15: 11-20: «Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche d’un homme qui le rend impur. Mais ce qui sort de sa bouche. […] Car de son cœur viennent les mauvaises pensées qui le poussent à tuer, commettre l’adultère, vivre dans l’immoralité, voler, prononcer de faux témoignages et dire du mal des autres. Voilà ce qui rend l’homme impur!»
Ce que ces mystiques chrétiens appelaient des «pensées affligeantes», les bouddhistes les appellent «kleshas», des pensées qui nous poussent à des attitudes et à des actions malsaines. Les moines du désert ont développé une profonde tradition contemplative chrétienne d’enseignements et de pratiques qui présentent des ressemblances et des affinités avec la pleine conscience. Les approches modernes telles que la prière de Thomas Keating et la méditation chrétienne de John Main sont inspirées de ces pratiques anciennes.
… délaissée par les réformateursHistoriquement, ces pratiques contemplatives chrétiennes ont été diffusées principalement parmi les moines, les religieuses, et les prêtres catholiques, orthodoxes et anglicans. La Réforme protestante a largement délaissé les pratiques de contemplation, en partie à cause du sentiment hostile au monachisme qui régnait alors. Il en résulte chez les protestants une méconnaissance— voire une profonde suspicion— à l’égard de ces pratiques. Mais de plus en plus de protestants commencent à découvrir la pratique contemplative. Ironiquement, cela arrive souvent par contact avec la pleine conscience bouddhique.
La pleine conscience ne séduit pas seulement les «sans religion» et les «non-pratiquants». Beaucoup de fidèles découvrent que la pleine conscience n’est pas seulement compatible, mais aussi complémentaire de leur foi. Ces pratiques dérivées du bouddhisme sont non seulement une clé de transformation, de renouveau et de vie sainte, mais aussi une porte d’entrée vers une tradition chrétienne négligée. Toute vérité émane de Dieu, et il ne faut pas s’étonner que diverses cultures aient découvert les avantages des pratiques méditatives et contemplatives et les aient adaptées à leur propre système religieux.
Un livre
L’auteur de cette chronique est l’auteur de «Presence and Process: A Path Toward Transformative Faith and Inclusive Community», récemment publié chez Barclay Press. Dans cet ouvrage, il explore les similarités entre pleine conscience et pratiques méditatives chrétiennes.