En Chine, c’est un grand défi d’obtenir un dédommagement pour un ouvrier empoisonné au benzène

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En Chine, c’est un grand défi d’obtenir un dédommagement pour un ouvrier empoisonné au benzène

30 mars 2017
Jason Chan, directeur de l’organisation Labor Action China, partenaire de Pain pour le prochain, a participé au débat qui a suivi la première suisse de «Complicit».
Présenté au Festival du film et forum international sur les droits humains, ce documentaire présente le combat contre le benzène d’un ouvrier chinois empoisonné par ce solvant.

Propos recueillis par Joël Burri

Quelles sont les activités de votre organisation?

Labor Action China (LAC) est une organisation indépendante basée à Hong Kong. Récemment, l’organisation s’est alarmée de la recrudescence d’empoisonnements chimiques en particulier de maladies du sang telle que la leucémie liées à l’exposition au benzène des ouvriers des usines d’assemblage électronique. L’ONG a été créée en 2005. A l’époque, les financiers hongkongais investissaient dans la province voisine de Guangdong. Dans l’industrie de la pierre précieuse, il y avait beaucoup d’ouvriers atteints de maladies professionnelles, telles que la silicose, une maladie pulmonaire provoquée par l’inhalation de poussières de pierre. LAC c’est battu pour qu’ils puissent être indemnisés et mieux formés. Notre organisation a aussi lancé une campagne internationale. Nous sommes par exemple venus manifester à Baselworld et avons obtenu des modifications des règles internationales dans le marché de la pierre.

Quels sont vos moyens d’action?

Nous faisons un peu de formation des travailleurs. Nous leur apprenons quels sont leurs droits et quelles règles de sécurités ils doivent appliquer. Mais nous agissons depuis l’extérieur de l’entreprise. Nous faisons des campagnes pour informer la population sur les questions liées aux maladies professionnelles. En particulier, nous cherchons a attirer l’attention des médias sur ces questions.

Plusieurs campagnes, hors de la Chine, ont pointé le problème de l’exposition des ouvriers au benzène. La pression internationale a-t-elle fait changer les choses?

C’est vrai que depuis 2014, plusieurs campagnes sur le thème du benzène ont eu lieu en Europe. Il y a probablement quelques changements et je veux croire que c’est le cas. Mais c’est juste trop lent. Laissez-moi donner un exemple: en 2014, nous avions approché le journal anglais Daily Mail pour leur signaler une série d’empoisonnements chez Yi Long, alors sous-traitant de Foxconn, l’un des principaux partenaires de Apple. Je ne sais pas si c’était une coïncidence, mais peu après la publication de l’article, Apple a renoncé à l’usage du benzène et du n-hexane dans l’assemblage final de ses appareils. Bien sûr cela semble être un changement de posture important, mais en même temps, ce n’est qu’une petite partie du processus de fabrication qui est concernée. Ils ne peuvent pas garantir que ces produits ne sont pas utilisés par d’autres sous-traitants à d’autres étapes de la fabrication.

Par ailleurs, la marque n’a fait aucun commentaire au sujet des victimes du benzène et du n-hexane touchés avant l’interdiction. Il n’a jamais été question de compensations. Alors oui c’est un progrès, mais l’impact est limité pour les victimes.

Désormais, votre combat est donc de permettre aux victimes d’être indemnisées?

Oui. En Chine, c’est un grand défi d’être reconnu comme victime de maladie professionnelle et ainsi de recevoir un dédommagement. La première étape est d’obtenir un diagnostic officiel. Une victime qui n’y parvient pas n’a aucune chance de recevoir le moindre dédommagement. Et selon notre expérience, les personnes qui ont la chance d’être reconnues comme victime doivent encore compter entre trois et cinq ans avant d’être dédommagées. C’est long quand on est atteint de leucémie et que l’on espère de l’argent pour financer une chimiothérapie ou une greffe de moelle osseuse. Il y a des lacunes dans la couverture maladie proposée par la Chine.

Est-ce qu’il se trouve de bons élèves parmi les employeurs, ou est-ce que globalement, dans l’ensemble des usines, les mesures de sécurité sont insuffisantes pour protéger les ouvriers?

Bonne question. LAC et ses partenaires locaux ne sont contactées que par des personnes qui sont atteintes de maladies professionnelles. Nous n’avons pas forcément une image représentative de l’ensemble du marché de l’emploi. Il y a peut-être de bons exemples, mais ils sont simplement en dehors de nos radars. Mais notre expérience est que beaucoup d’entreprises sont très hostiles avec les ouvriers atteints de maladies professionnelles. Souvent, elles n’apportent aucune aide au collaborateur qui cherche à faire reconnaître sa maladie professionnelle. Et même lorsqu’un diagnostic officiel a pu être obtenu, il y a des entreprises qui refusent de le reconnaître et de verser le moindre dédommagement.

Le travail d’un syndicat en Chine est-il facile?

En fait, nous sommes assez inquiets en raison d’une loi entrée en force au début de l’année. Les ONG étrangères doivent s’enregistrer avant de pouvoir travailler en Chine. Même une organisation comme la nôtre qui est basée à Hong Kong est soumise à cette obligation. Cette loi du Ministère de la Sécurité publique donne beaucoup de pouvoir à la police et aux différentes forces de l’ordre, pour intervenir. Sans devoir se justifier, elles peuvent faire fermer des organisations ou arrêter des responsables d’associations. Les organisations locales travaillant avec des organisations internationales jugées subversives risquent également d’être inquiétées.