Les minorités religieuses marginalisées en Malaisie

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Les minorités religieuses marginalisées en Malaisie

Esther R. Suter
3 mars 2017
La présence de l’islam sunnite s’accentue dans tous les aspects de la vie quotidienne malaisienne. Introduction de la charia ou tension autour de l’usage du mot «Allah» par des non-musulmans pour désigner Dieu, inquiètent les fidèles des confessions minoritaires.

Photo: Hermen et Maya Shastri, ©Esther R. Suter

, Kuala Lumpur, Malaisie

L’islam en tant que religion de l’état se positionne de plus en plus dans la sphère politique. Ce changement touche l’équilibre entre les religions, constate avec d’autres Hermen Shastri. Ce pasteur méthodiste et secrétaire général du Conseil des Eglises de Malaisie est très familier avec la culture occidentale puisqu’il a obtenu son doctorat en 1989 à Heidelberg. Il s’engage beaucoup dans le dialogue interreligieux et dans les relations entre l’Etat malaisien et les religions. Avec une jeune femme engagée, Victoria Cheng, il était invité à participer à un échange informel à Kuala Lumpur, lors du séminaire interreligieux de l’Association internationale des femmes religieuses libérales (IALRW), présidée pour la première fois par une musulmane, Kamar Oniah Kamaruzaman.

Hermen Shastri s’est interrogé sur le «libéral» figurant dans le nom de l’association. La fondation de IALRW date de 1910 lors du «congrès mondial pour un christianisme libéral et un progrès religieux» à Berlin, organisé par des théologiens libéraux. Leur organisation, fondée en 1900 à Boston comme «conseil des penseurs unitariens et autres penseurs et travailleurs libéraux», correspond à l’association internationale pour la liberté religieuse (IARF) actuelle avec laquelle l’IALRW est toujours très nouée.

«Etre libéral est une lutte continuelle, mais c’est la beauté de la diversité», a souligné Hermen Shastri. Pour lui, les libéraux sont les plus engagés pour le Droits de l’homme. Ils soutiennent un échange libre, un «œcuménisme» aussi entre les chiites et les sunnites. Une réflexion qui ne se fait guère en Malaisie, les chiites ne représentant qu’un faible pourcentage de la population. «La Malaisie est-elle un état religieux ou laïque?», se demande Hermen Shastri. Pour esquisser une réponse, il présente plusieurs controverses actuelles qui secouent le pays.

Un traitement inégal pour les minorités

La présence de l’islam s’accentue dans tous les aspects de la vie quotidienne. Officiellement, un dialogue interreligieux est maintenu avec le bouddhisme, le taoïsme, le sikhisme, le christianisme et l’hindouisme, mais cela n’est pas satisfaisant. D’un point de vue critique, les minorités religieuses ne sont pas traitées à l’égal de l’islam majoritaire. Par ailleurs, l’islam peut être très conservateur et les progressifs ne sont pas reconnus comme partenaire dans le dialogue interreligieux. Actuellement, toutefois, la formation de mouvements affiliés à Daesh dans le pays inquiète le gouvernement.

Pour Hermen Shastri, il faut revenir à la reconnaissance et à la compréhension de l’état séculier tel que prévu dans la Constitution de 1957. L’islam comme religion. Les Malais comme ethnie. Pour illustrer la perte de cet idéal, il montre sa carte d’identité qui contient un espace. Pour les musulmans il y figure «islam», chez lui, il y a un vide. C’est «deux poids, deux mesures», explique-t-il. Bien que l’influence de l’Islam augmente, ils devraient garder et promouvoir une vue libérale. Un exemple actuel pour l’influence de l’islam est l’usage de la désignation «halal» comme signe de bonté, de pureté. Les médias critiques en donnent un exemple: la vente de pinceaux: jusqu’alors, ils n’avaient pas besoin d’attestation prouvant qu’ils étaient halal, c’est à dire qu’ils ne contenaient pas de soies de porc. Ils doivent dès maintenant être bien déclarés.

La charia en Malaisie

Ces dernières années, des tensions et controverses sont survenues entre les religions à la suite de la proposition d’introduire la charia en Malaisie, comme c’est le cas en Arabie Saudite ou en Iran. Le juriste musulman, Chandra Muzaffar (photo), professeur à l’Institut international de pensée et civilisation islamiques à l’Université islamique de Kuala Lumpur et président de l’ONG Mouvement international pour un monde juste (JUST) explique la problématique sous-jacente des religions minoritaires en Malaisie. Il a pris position officielle comme musulman en commun avec d’autres représentants de religions non-musulmanes contre l’introduction de cette loi. Dans une étude publiée en 2014, le Conseil consultatif du bouddhisme, christianisme, hindouisme, sikhisme et taoïsme constate clairement que la charia contredit aux prescriptions du Coran et qu’elle n’est pas compatible avec la Constitution malaisienne et son droit pénal.

Dans les états où la charia est appliquée, les femmes et les non-musulmans sont marginalisés. Elle discrimine les musulmans aussi bien que les non-musulmans, car le poids du témoignage dans beaucoup de délits pèse du côté des victimes surtout dans le cas de viol. Les femmes et les non-musulmans n’ont pas le droit de témoigner. Ainsi trois quarts de la population seront disqualifiés comme témoins.

Chandra Muzaffar continue: «Nous avions une harmonie relative; seuls les musulmans avaient une liberté restreinte, car ils n’ont pas le droit de questionner la pratique de l’islam. Mais peu à peu, l’influence de l’islam a grandi. Il s’en est suivi l’apparition d’une bureaucratie et de règles de la vie quotidienne que même des musulmans considèrent parfois comme imposées.»

Le mot Allah réservé aux musulmans

Une autre controverse survenait avec l’usage du mot «Allah» par des non-musulmans. Chandra Muzaffar cite la revue catholique «Herald» qui insiste sur l’usage du mot «Allah» qui est utilisé surtout par des chrétiens de la Malaisie de l’Est. Ils lisent la bible en malais, ou «Allah» est utilisé pour Dieu. Le Coran ne parle pas d’une exclusivité dans l’usage de ce mot, explique Muzaffar, et ne le défend pas aux autres croyants. Des chrétiens du Proche Orient l’utilisaient bien avant l’arrivée de l’islam. Même les sikhs l’utilisent dans leurs écritures sacrées; dans des hymnes hindous, le mot «Allah» existe également. En Indonésie depuis le milieu du XVIIe siècle des bibles sont en usage avec le mot «Allah». Mais désormais, cela pose problème. «Les représentants d’autres religions peuvent prendre position. Mais le mieux serait que le changement vienne du côté musulman», estime Chandra Muzaffar.