Tensions interreligieuses: parole donnée à de jeunes femmes

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Tensions interreligieuses: parole donnée à de jeunes femmes

Esther R. Suter
21 février 2017
Le séminaire interreligieux de l’Association internationale des femmes religieuses libérales a reçu les témoignages d’étudiantes venues de différentes zones de conflit.

Photo: l'oratrice cachemirie, DR

, Protestinter, Kuala Lumpur

Trois jeunes femmes, étudiantes en Malaisie, ont été invitées par Kamar Oniah Kamaruzaman, professeure à l’Université islamique internationale de Malaisie et présidente de l’Association internationale des femmes religieuses libérales (IALRW) à présenter la situation dans leur pays d’origine lors du séminaire interreligieux de l’IALRW qui a eu lieu à Kuala Lumpur du 8 au 9 février. Originaires du Myanmar, du Yémen et du Cachemire, les mots leur manquaient parfois quand elles présentaient leur situation, mais, les larmes aux yeux, elles ont su trouver des images qui parlent. Par mesure de sécurité, ces jeunes musulmanes n’ont pas donné leur nom.

Myanmar

«Je n’ai pas de citoyenneté», a déclaré une Rohingya de 31 ans. Elle a pris tous les risques en 2009 pour quitter le Myanmar pour des raisons de sécurité. Depuis elle est sans nationalité. Nous n’avons pas le choix, disait sa mère, c’est notre destin. Mais elle contredit: «Ce n’est pas notre destin, c’est un crime contre l’humanité. C’est un nettoyage ethnique par la torture, le viol, la prostitution: c’est la guerre. Et tout cela est motivé par la volonté d’arrêter la croissance de la population musulmane qui n’a le droit d’avoir que deux enfants par couple». Si des étudiants à l’université sont tués, leurs parents n’ont pas le droit de les voir, de demander leur corps et de les enterrer.

Les Rohingyas vivent dans l’Arakan, une région qui auparavant ne faisait pas partie du Myanmar. Ils n’ont plus le droit de bouger d’une région à l’autre. Le gouvernement du Myanmar leur refuse la résidence locale et ainsi ils sont déclarés illégaux. Sur leur carte d’identité ne figure pas d’ethnie (Rohingya), mais «Bengali», c’est-à-dire: du Bangladesh. Si leur carte est refusée, ils doivent quitter le pays et leurs maisons sont brûlées. C’est raciste, dit-elle, car la couleur de leur peau foncée est considérée comme sale.

C’est en tout un jeu politique. Les militaires veulent garder le pouvoir sans rien changer et ainsi ils créent des conflits entre les religions (bouddhistes et musulmanes). L’intérêt public se tourne vers ces différends, et se détourne des vraies intentions des militaires.

Environ 56'000 Rohingyas vivent en Malaisie, dont une part sans papiers. Ils n’ont pas de possibilité de travailler, car faute de documents d’identité les entreprises n’ont pas le droit de les embaucher.

Yémen

L’oratrice originaire du Yémen est arrivée en Malaisie il y a six ans. Aujourd’hui, elle a 26 ans. Elle a commencé par des études de droit, puis a continué par des sciences politiques et des études d’islam. C’était son rêve, d’aller en Malaisie. Sa société conservatrice ne lui permettait pas d’y aller seule. Après la mort de son père, son oncle est devenu son tuteur. Il a fait de son mieux pour lui donner les meilleures éducation et formation. Il a vite compris que de rester au Yémen n’était pas possible. L’Université islamique de Malaisie garantissait les meilleures études de droit en Asie. Mais en étudiant, elle s’est rendu compte qu’elle avait une autre vision du droit international, on y enseignait plutôt un droit local. Alors elle a changé d’orientation pour poursuivre des études de sciences politiques.

Elle ne veut pas rester longtemps en Malaisie. La mentalité lui semble plutôt rigide, installée dans la routine et peu prospère. Mais les gens sont gentils, accueillants, et elle vit en sécurité.

Le Yémen est un des pays les plus pauvres dans la région, continue-t-elle, beaucoup se sont enfuis en Malaisie. Son pays ne connaît pas la doctrine «un état – une religion» bien que 97% des habitants soient musulmans. On cohabitait sans grandes frictions les uns à côté des autres en diverses communautés religieuses, mais depuis quelques années la haine a été répandue de façon volontaire et cela s’est amplifié depuis le début du conflit armé: on distingue désormais les sunnites et les chiites. Quand la guerre sera terminée, elle craint qu’il soit difficile de rétablir une nation, car entretemps les ressentiments entre sunnites et chiites ont émergé.

Elle a le sentiment d’être obligée de s’engager en faveur de son pays. Non seulement collecter de l’argent, mais au-delà, chercher des solutions.

Cachemire

Le conflit au Cachemire est de nature politique, non religieuse. Le Cachemire est une des zones les plus militarisées du monde. La jeune femme de 22 ans expose le sujet pour la première fois au public. «Mes parents, tous les deux des universitaires sont contents que je sois en Malaisie». En 2013 quand elle a eu 18 ans, elle a tenté d’obtenir un visa d’étude pour la Malaisie, mais la procédure est très difficile, car le Cachemire n’a pas d’université de telle qualité et au même niveau. Depuis, elle poursuit une formation en littérature anglaise et elle prépare un diplôme en études islamiques. Les parents envoient leurs filles à l’étranger pour faire des études, dans des endroits où l’Inde n’a pas la mainmise.

Il n’y a plus de médias locaux, peu d’informations sont transmises à l’extérieur et vice-versa. «Nous ne pouvons pas contacter l’autre partie du Cachemire sans être contrôlés, on nous traite comme des animaux». La militarisation massive a provoqué beaucoup de violations des Droits de l’homme. Les forces armées disposent de droits étendus et elles soupçonnent toujours les Cachemiris de cacher des armes.

«Comment en sommes-nous arrivés là?» Depuis le 8 juillet 2016, il y a le couvre-feu et nous ne pouvons plus sortir à partir de 18h. Beaucoup de civils ont été tués par des balles et des milliers blessés par des projectiles. Les médias n’ont pas accès aux chiffres émanant des milieux médicaux. On ne nous considère pas comme égaux face aux Indiens et le gouvernement indien d’extrême droite marginalise les musulmans.

«Nous voulons la liberté, la liberté de parole et de nous comprendre comme Cachemiris». Ils veulent devenir indépendants et former un état comme avant et être libres. Les jeunes de 15 à 25 ans juste souhaitent que les militaires s’en aillent du Cachemire.

Victoria

Victoria Cheng, 25 ans, a accepté l’invitation de parler de ses idées. Malaisienne, de provenance chinoise et d’influence chrétienne, elle représente une nouvelle génération qui pose des questions…

Elle s’est formée en études genre et en islam à l’Université de Nottingham, une organisation privée, car «les universités privées sont les plus libérales». Il n’est pas possible de suivre un sujet interreligieux dans une Université d’état. Le dialogue interreligieux est controversé.

Actuellement, elle a abandonné les études universitaires pour se consacré à des activités militantes autour des droits de l’homme. Comme jeune personne, elle voit le risque de s’exposer, de publier des articles et de parler de sujets interreligieux. «Nous devrions simplement trouver le contact et les liens parmi nous», explique-t-elle, si possible et s’il est possible d’être critique et d’ouvrir plus d’espace. Ceci s’apprend lorsque l’on cultive davantage le dialogue entre individus.

Victoria assiste le directeur de programme d’une petite ONG «ProjecDialog». Elle n’hésite pas de contacter ou collaborer avec des gens considérés comme conservateurs et musulmans, mais ayant une ouverture pour ces sujets. Mais c’est un risque continu et elle s’en rend compte. L’islam est favorisé, explique-t-elle.

Elle donne l’exemple de l’«Islamic Society», un club religieux et soutenu par le gouvernement. Récemment, ils avaient organisé une soirée et invité une femme «Ulama» venue d’Indonésie. Cela a été découvert et jugé comme blasphème par quelques personnes. Ils ont annulé la conférence, mais l’ont organisée sous une autre forme. Le président de l’«Islamic Society», progressif, a dû s’excuser. Comparé à d’autres sociétés religieuses, «Islamic Society» semble avoir une voix dominante. Promouvoir le dialogue interreligieux, grâce à des évènements organisés par des étudiants, semble pourtant être une chance.

Victoria se rend bien compte des inégalités dans la société malaisienne, surtout entre la Malaisie de l’Ouest et Malaisie de l’Est. Les problèmes entre la religion majoritaire islamique et d’autres religions minoritaires se combinent avec des questions ethniques.

Victoria travaille également à rendre visible la situation des femmes dans l’islam. Un quiz sur le site web de «ProjecDialog» posait des questions concernant la violence domestique. Le viol dans le mariage est considéré comme «normal». Mais le quiz a été contesté. Quelques hommes citant le Coran l’ont qualifié de féministe. Mais par la suite, d’autres hommes, progressifs, ont commencé à dénoncer le viol avec l’argument que le prophète ne battait pas les femmes. Cette controverse a rendu le quiz visible. Il s’est attiré de plus en plus d’avis favorables.

Le travail continue dans une société où l’islam semble de prendre une place de plus en plus dominante. Mais à contrario, comme l’exemple de Victoria le montre, les jeunes réclament davantage de liberté.