France: du e-commerce solidaire
Photo: CC(by) Garfield Anderssen
, «Réforme»
Cela s’appelle faire d’une pierre deux coups. Voire trois. Se débarrasser d’objets dont on ne veut plus sans les jeter, éventuellement gagner de l’argent et soutenir une bonne cause en même temps, voilà qui est possible grâce à «Cestbonesprit.fr», une version solidaire de leboncoin.fr ou d’ebay.fr. Le principe est simple: le site fonctionne exactement comme les autres plates-formes de commerce entre particuliers mais ici le vendeur reverse un pourcentage de son bénéfice – au minimum 33% (ou 10 euros) – à l’une des associations qui soutiennent le projet.
En résumé, «je vends donc je donne!». Par exemple, si je mets en vente un téléviseur à 100 euros, je peux décider que 33, 50, 75 ou 100 euros seront donnés à deux ou trois associations de mon choix. De son côté, l’acheteur devient aussi acteur puisqu’il choisit au final l’une d’entre elles.
«Notre projet est une réponse à un besoin contemporain: les gens cherchent à donner du sens à leur vie, à leur travail, mais aussi à leur consommation. Notre site permet justement d’acheter de façon intelligente, écologique et solidaire», plaide Julien-Pierre Savin, 40 ans, cofondateur du site, avec son collègue Xavier Fraval.
Une idée née d’une expérience personnelle: en 2013, le jeune commercial qui travaillait jusqu’alors dans les transports déménage. Il souhaite donner son réfrigérateur, mais ne trouve pas d’association preneuse. Et finit par publier une petite annonce en ligne. Or, quand un intéressé vient chercher l’objet, Julien-Pierre Savin ne comprend pas si cette personne est le bénéficiaire final. «J’avais envie de donner, mais en sachant à qui et à quoi servirait mon don», poursuit-il. C’est ainsi que naît «cestbonesprit.fr», site de «petites annonces avec du don dedans».
Rajeunir les donneursDepuis le lancement de la plate-forme en 2014, une quarantaine d’associations dédiées à sept causes différentes ont été séduites par le projet: environnement, humanitaire, insertion-précarité, handicap, santé et recherche médicale, aide à l’enfance, aide au logement. On peut par exemple décider, selon sa sensibilité, de donner à la Fondation des Amis de l’Atelier, qui accompagne enfants et adultes en situation de handicap, à Avocats sans frontières, aux Enfants du Mékong, à Rêves (qui organise les rêves d’enfants gravement malades), à ZeroWaste France, qui œuvre à la réduction des déchets…
«Avec ce site, nous espérons sensibiliser de nouveaux donneurs», explique Sandrine Poutonnet, chargée de communication du CASP, le Centre d’action sociale protestant, également partenaire. En France, l’âge moyen des personnes qui donnent est en effet de 65 à 70 ans, et leurs dons se font en majorité par chèques, un mode de paiement en voie de disparition. «Nous avons besoin de rajeunir notre base, et d’explorer de nouveaux canaux de solidarité», ajoute Sandrine Poutonnet.
De plus en plus, c’est en ligne, et de façon virtuelle, que s’exprime la générosité. En témoignent par exemple l’émergence des sites de «crowdfunding» (financement participatif de projets) ou d’un site comme Zegive, qui permet d’arrondir à l’euro supérieur le prix d’un achat en ligne. Autant d’initiatives qui cherchent à toucher un public qui n’a pas forcément l’habitude de donner.
La spécificité de cestbonesprit.fr est aussi de favoriser des échanges plus personnels entre vendeurs et acheteurs qui agissent ensemble. « En plus d’un achat, d’un don, une rencontre vraiment conviviale!», témoigne Sandraj sur le site, après l’acquisition d’une tunique de marque Maje. Que trouve-t-on en ligne? Vêtements, babioles, meubles, instruments de musique… à peu près la même chose que dans un vide-grenier classique, des objets d’occasion, parfois poussiéreux, parfois surévalués par leurs propriétaires, et parfois aussi des pépites à dénicher. Le site voit également passer des offres plus étonnantes, un bateau, un appartement à vendre ou même un chalet à louer à la montagne!
Communautés d’échangeReste désormais à étoffer le catalogue et le projet. En deux ans d’existence, le site a récolté 50'000 euros de dons, sur environ 5000 ventes, et ne permet pas encore aux fondateurs de s’autofinancer (une commission de 10% est retenue sur les bénéfices des vendeurs, hors dons). Mais Julien-Pierre Savin est optimiste. L’un de ses objectifs: développer, sur son site, des communautés d’échange plus ciblées. Un partenariat sera notamment lancé en novembre avec la ville de Sceaux (92). «Les transactions entre voisins sont plus faciles et nous pouvons nous appuyer sur un réseau d’associations locales très actives», souligne-t-il. Il met aussi en place des réseaux de petites annonces entre salariés d’entreprises. C’est déjà le cas à la MAIF, et bientôt dans une grande firme du CAC 40. Là encore, une façon de créer «du lien et du sens». Cerise sur le gâteau, ces dons donnent droit à une déduction d’impôts de 66 à 75%. Bref, un système gagnant gagnant, et bon esprit.