Deux tiers des évangéliques en Suisse réfutent la théorie de l’évolution

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Deux tiers des évangéliques en Suisse réfutent la théorie de l’évolution

Noriane Rapin
10 octobre 2016
Selon les statistiques de l’OFS publiées cette année, 65% des évangéliques suisses contestent catégoriquement que la théorie de l’évolution puisse expliquer les origines du vivant. Symptôme d’un décalage entre les élites et la base dans les Eglises évangéliques, ce phénomène témoigne d’une difficulté à confronter les croyances avec la société moderne. Il pourrait également avoir des retombées politiques.

Photo: Sur une voiture en Virginie, un poisson, symbole chrétien, marqué du mot «vérité» avale un poisson à pattes, symbole anti-créationniste, sur lequel il est écrit «Darwin». CC(by) Chris Chan

«Ces résultats m’ont surpris. On peut bien sûr avancer des brins d’explication, mais je reste très étonné par ces chiffres.» Philippe Thueler, secrétaire général de la Fédération romande des Eglises évangéliques (FREE), ne s’attendait pas à l’ampleur du phénomène créationniste qui, parmi les cadres des Eglises évangéliques, n’est de loin pas au centre des discussions. En effet, selon les résultats du sondage de l’Office fédéral de la statistique (OFS) sur les croyances des Suisses, parus cette année, environ 65% d’évangéliques opposent un «non» catégorique à la question «Croyez-vous que la théorie de l’évolution est l’explication la plus cohérente de l’origine de l’être humain?».

Ce chiffre est un cas unique en Suisse. Parmi les autres religions ou confessions chrétiennes, ce sont environ 10% des sondés qui répondent «non» à la même question, exception faite des musulmans, dont quelque 20% n’adhèrent pas à la théorie de l’évolution. «Les musulmans sont plutôt une population de migrants, souvent jeunes: concernant la première génération, ce sont des gens qui n’ont pas fait leur scolarité en Suisse», explique Philippe Gonzalez, sociologue et maître d’enseignement et de recherches à l’Université de Lausanne. «Ce n’est donc pas étonnant qu’ils soient dans une forme d’écart par rapport au reste de la population. Mais les évangéliques sont suisses! Selon une étude, le profil démographique des évangéliques équivaut à un Suisse standard qui a fait un tout petit peu plus d’études que la moyenne.»

Entre les élites et la base, un discours différent

Etant donné que l’OFS se penche pour la première fois sur le contenu des croyances, c’est la première fois également que l’on a accès à ce que croit la «base» des évangéliques. Or, «entre l’élite et la base, il y a un autre discours», souligne Philippe Gonzalez. «Les intellectuels représentés dans le Réseau des scientifiques évangéliques, par exemple, pensent que l’évolution est tout à fait compatible avec la création. Mais au niveau de la base, cela ne suit pas! C’est plutôt un cheval de bataille de gens qui sont très militants et directement aux prises avec les théories créationnistes venant d’Amérique du Nord. Ils bousculent la régulation à la fois théologique et scientifique qu’essaient de mettre en place les Eglises évangéliques.»

Philippe Thueler fait un constat similaire: «Je vois très peu de penchants créationnistes parmi les responsables de communauté. On n’entendrait pas non plus ce genre d’opinions en conférences. Après, est-ce que cette vision des choses n’est pas allée au-delà de ces cercles de responsables? C’est possible. En voyant ces chiffres, on ne peut honnêtement et raisonnablement pas dire que tout s’explique et que tout va bien.»

Reconnaissance par l’Etat et enseignement religieux

L’enjeu concret de la polémique anti-évolutionniste est celui de la reconnaissance des communautés évangéliques par l’Etat. «Dans le canton de Vaud en tout cas, il y a une certaine pression qui s’exerce sur les communautés qui n’ont pas encore été reconnues», explique Philippe Gonzalez. «Il existe une charte, mise au point par l’Etat, qui précise que l’enseignement religieux ne peut pas aller à l’encontre d’un contenu scientifiquement attesté.»

Cela expliquerait par exemple les réactions des cadres des Eglises évangéliques lors des récentes controverses autour de l’enseignement du créationnisme dans les écoles chrétiennes. «Les représentants évangéliques affirment que les évangéliques suisses ne sont pas créationnistes», ajoute le sociologue. «Effectivement, les élites ne le sont pas, mais le problème, c’est que la base l’est! Et c’est précisément cette base qui met ses enfants dans les écoles confessionnelles pour amortir le choc entre les croyances religieuses et les éléments attestés par les sciences naturelles.»

Articuler la science et la foi

Le problème plus général qui se cache derrière la question de l’évolution est celui du rapport entre croyance religieuse et savoir scientifique. Pour Philippe Gonzalez, «ces chiffres montrent que cette articulation est un problème complexe, très pertinent pour les évangéliques, et ils sont une sérieuse indication au fait qu’il faudra se mettre à travailler sur la question avec la base.»

«Je pense qu’une explication possible est qu’il y a de la part de certains évangéliques une mauvaise compréhension de ce qu’est une théorie scientifique, et en particulier celle-ci», analyse Philippe Thueler. «J’ai l’impression que pour un bon nombre d’entre eux, répondre oui à cette question revient forcément à renier que Dieu est créateur. Or ce n’est pas le cas. Cela montre qu’il y a de la formation à faire. On ne croit pas en une théorie scientifique: soit elle marche, soit on la réfute. Par ailleurs, d’autres ne se privent pas d’utiliser cette théorie de l’évolution pour nier l’existence de Dieu, ce qui est aussi indéfendable!»

Et quelles seront les mesures prises par la FREE en matière de formation? «Rien n’est prévu spécifiquement sur cette question, qui a déjà été adressée par le Réseau des scientifiques évangéliques, mais cela fait deux ou trois ans que l’on réfléchit à la présence de l’Eglise dans un monde post-moderne, lors de retraites ou de conférences. Je crois qu’il faut intégrer le fait que le monde a changé et est devenu pluraliste, globalisé. Cela doit modifier nos pratiques et faire évoluer notre positionnement par rapport au monde.»