Les nationalistes indiens condamnent le biryani au bœuf

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Les nationalistes indiens condamnent le biryani au bœuf

Tom Heneghan,
23 septembre 2016
Plat typiquement indien, le biryani au bœuf sert de prétexte pour justifier des attaques contre les musulmans et les dalits en Inde. Une tentative du gouvernement nationaliste indien d’imposer ses règles religieuses.

Photo: Un plat de biryani © RNS

New Delhi, RNS/Protestinter

Le biryani est un plat populaire indien composé de riz avec de la viande ou des légumes cuits dans un subtil mélange d’épices. Récemment, certains législateurs y ont ajouté quelques ingrédients supplémentaires: la religion, la caste et la politique. La soi-disant police du biryani a inspecté des marmites pleines de cette nourriture traditionnelle pour vérifier si les vendeurs de rues y avaient ajouté du bœuf, qui est interdit dans la majorité du pays.

De nombreux vendeurs de rues dans l’Etat de Haryana près de New Delhi, le centre de la répression, ont dû fermer leurs stands même si la demande de biryani est plus forte pendant la fête musulmane de l’Aïd al-Adha, qui s’est déroulée la semaine passée.

Le biryani illégal est devenu le dernier recours pour le gouvernement nationaliste indien d’imposer ses standards religieux sur le pays officiellement laïque. La majorité des hindous considèrent la vache comme sacrée et ne mangent pas de cette viande, mais ses deux plus grandes minorités — les musulmans et la dalits, les anciens intouchables — n’observent pas de telles restrictions.

Les contrôles ponctuels sur les vendeurs de biryani, pour la plupart des musulmans, ont été dénoncés comme une provocation voilée. «L’Etat essaie d’enlever de la joie aux festivités», peut-on lire dans un éditorial du quotidien Indian Express. «Faire ces contrôles à ce moment-là insinue le harcèlement prémédité».

Les vaches sacrées

Une autre répression liée au traitement de la peau des vaches singularise les dalits et engendre encore plus d’hostilité de la part de la majorité hindoue. Les dalits enlèvent la peau des vaches mortes depuis des siècles et certains d’entre eux ont été attaqués — voire même tués — par des protecteurs de ces animaux qui les accusent de tuer et de manger ce bétail.

Ce mouvement d’«hindouisation», qui s’est accéléré depuis que le parti Bharatiya Janata (un parti nationaliste hindou) du Premier ministre Narendra Modi a gagné les élections générales en 2014, a mis de côté les musulmans et les dalits au point que les analystes politiques pensent que les deux minorités devraient joindre leurs forces pour défier les élections nationales qui auront lieu l’année prochaine.

Environ 80% des 1,3 milliard d’habitants de l’Inde sont hindous et 14% sont musulmans. Les dalits qui composent 16% de la population sont pour la plupart des hindous, mais beaucoup se sont convertis à l’islam, au christianisme, au bouddhisme et à d’autres religions dans le vain espoir d’échapper à leur faible statut dans le système de caste.

La montée de l’hindouisme

L’Inde a adopté une constitution laïque après son indépendance de la Grande-Bretagne en 1947. Toutefois à partir des années 50, 20 états sur 29 ont adopté des lois inspirées de l’hindouisme qui interdise l’abattage, la consommation ou le transport de vaches. Les vaches errantes qui se promènent librement sont habituelles dans les rues des villes indiennes.

Dans une torsion contre-intuitive, le pays est parallèlement le plus grand exportateur mondial de viande bovine. La majorité de cette viande provient de buffles et de taureaux, plutôt que des vaches que les hindous vénèrent.

«Tuer une vache peut être considéré comme tuer sa propre mère», a expliqué Zarin Ahmad, une anthropologue qui a étudié l’interdiction de la viande bovine en Inde. Sous la pression des activistes hindous, le tabou autour de l’abattage des vaches s’est progressivement élargi — dans certains états — aux buffles et aux taureaux.

Dans plusieurs états, l’abattage des vaches est un crime passible de dix ans de prison. Depuis l’année dernière, l’Etat de Maharashtra a interdit la possession de bœufs, et a également sanctionné toutes les ventes de ces animaux. La pression croissante pour protéger les vaches a engendré la multiplication des groupes de «protecteurs de vaches», dont certains agissent comme des justiciers harcelant les musulmans et les dalits à cause du commerce réel ou présumé de viande bovine.

Des minorités persécutées

Il y a une année, un homme a été tué lors d’une manifestation pour avoir gardé de la viande de bœuf dans son réfrigérateur. Des tests en laboratoire ont montré, par la suite, qu’il s’agissait de viande de buffle. Des vidéos postées sur les médias sociaux ont montré des dalits fouettés par des activistes hindous pour avoir dépecé une vache morte ainsi que deux hommes, présumés musulmans, contraints de manger de la bouse de vaches.

Fin août, les «protecteurs de vaches» ont été accusés d’avoir tué un couple et d’avoir violé leurs deux filles à Mewat, un district majoritairement musulman dans l’Haryana. Selon la presse, de nombreux résidents suspectent que la répression de l’Etat par rapport au biryani était censée détourner l’attention de ces crimes.

«Depuis que le parti Bharatiya Janata est arrivé au pouvoir, la terreur des “protecteurs de vaches” et de la police a atteint le commerce de la viande dans la région», a souligné un résident nommé Hazi Akbar au quotidien The Hindu. «Même ceux qui transportent des chèvres et des buffles avec des documents en règle ne sont pas épargnés».

Un gouvernement complice

Le Premier ministre Narendra Modi, un membre de longue date de l’aile droite du mouvement Rashtriya Swayamsevak Sangh qui prône une Inde intégralement hindoue, est resté silencieux pendant des mois alors que la colère contre cette répression augmentait. Quand il a enfin pris la parole contre eux, début août, il a dit que 70 à 80% des attaquants «essayaient de cacher leurs péchés en prétendant être des “protecteurs de vaches”».

Les responsables des minorités n’ont pas pris au sérieux l’apparent revirement du Premier ministre, soulignant que la police était assez indulgente par rapport aux justiciers qui agissent au nom du nationalisme hindou. «L’ambiguïté est claire», a déclaré un responsable chrétien, qui ne souhaite pas être identifié. «Un membre du gouvernement a dit quelque chose, un autre membre son contraire et ils évaluent jusqu’où ils peuvent aller en fonction des réactions».

Niraja Gopal Jayal, une politologue de l’Université Jawaharlal Nehru à Delhi, a souligné que le gouvernement du Premier ministre avait donné «des encouragements tacites pour un projet majoritairement hindou. Il y a eu une normalisation alarmante de la discrimination». Elle a ajouté: «ces derniers mois, la reprise de ces provocations religieuses ainsi qu’à l’encontre des castes amène à penser qu’il pourrait y avoir une alliance politique entre musulmans et dalits. Le présent n’est pas agréable, mais l’avenir reste ouvert.»