Un jeûne pour l’unité nationale
Image: «Au XVIe siècle, le jeûne était une pratique pénitentielle visant à se réconcilier avec la providence face aux manifestations de sa colère qu’étaient les grands fléaux de l’époque, en particulier la guerre et la maladie», rappelle l’historien Christian Grosse. Les gravures de Jacques Callot (1592-1635) dépeignent les misères de la guerre de Trente Ans.
Mis à part le canton de Genève qui organise cette fête une dizaine de jours avant, les Suisses célébreront ce dimanche le Jeûne fédéral. Si dans certains cantons un jour férié est accordé le lendemain, ce n’est probablement pas pour se remettre de cette journée de pénitence dont la pratique tend à se réduire. «Depuis 4 ou 5 ans, il n’y a plus de message œcuménique à l’occasion du Jeûne fédéral, mais plutôt pour le 1er Août», note Walter Muller, porte-parole de la Conférence des évêques qui justifie «Nous ne voulions pas interférer avec les pratiques cantonales.» Le pasteur Serge Molla, responsable de l’Office société et Eglise de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud déclare quant à lui: «J’ai parfois des discussions avec des collègues invités par les autorités pour la fête nationale. D’ailleurs, depuis quelques années, notre office fait une proposition de texte à cette occasion. Mais le jeûne fédéral, c’est quelque chose dont on ne parle pas.» Instituée par la Haute Diète le 8 août 1832, cette journée de pénitence est, de fait, plus ancienne que la fête nationale qui n’a été décidée qu’en 1889.
«A la fin du XVIIIe siècle, on assiste aux premiers jeûnes communs entre catholiques et protestants. Jusqu’alors, le jeûne était une activité identitaire. Lorsqu’en 1832 la Diète décide d’unifier en une seule fête les différents jeûnes régionaux, cela vise à construire une identité suisse. Cela permet de célébrer un consensus national au moment où celui-ci est encore fragile: on est avant la Guerre du Sonderbund», rappelle Christian Grosse, professeur d’histoire et anthropologie des christianismes modernes à l’Université de Lausanne. «Les journées de jeûne ont toujours eu une importance particulière pour les réformés en raison de leur rareté. Les catholiques en ont, en effet, une pratique régulière tout au long de l’année», précise le chercheur rappelant la multiplicité de célébrations impliquant des privations telle que le carême.
Si l’unité nationale, et en particulier l’unité entre confessions est la raison d’être de cette fête, il n’en demeure pas moins que chaque canton est invité à la vivre à sa façon. Ainsi Genève s’appuyant sur l’existence d’un jeûne local ayant lieu le jeudi pratique, encore aujourd’hui, cette célébration à une autre date. «Une journée de jeûne, cela consistait en de longues journées qui se déroulaient à l’église avec des successions de prières, de lectures bibliques et de sermons. Par exemple à Genève en 1592, la liturgie comprenait une succession de cultes qui commençait à 5h du matin et se poursuivait jusqu’à 14h», souligne Christian Grosse.
Œcuménisme reste le maître mot du jeûne fédéral. Dans la plupart des cantons, cette fête donne lieu à des célébrations interconfessionnelles. Dans certains cantons, les Eglises chrétiennes s’associent, en outre, pour diffuser un message commun, parfois assorti d’une collecte pour une cause particulière. C’est le cas, par exemple à Berne et Neuchâtel. A Genève, tous les deux ans, les Eglises membres de Témoigner ensemble à Genève organisent une journée de réflexion qui se termine par un cortège jusqu’au temple St-Gervais où a lieu une célébration commune.
Le sens du jeûne
«Au XVIe siècle, le jeûne était une pratique pénitentielle visant à se réconcilier avec la providence face aux manifestations de sa colère qu’étaient les grands fléaux de l’époque, en particulier la guerre et la maladie», rappelle l’historien Christian Grosse. Les réformateurs étaient toutefois méfiants envers toute tentative de mériter son salut au travers de ses actes. En particulier, «les protestants du XVIe siècle étaient opposés à rendre des jours plus sacrés que d’autres, en dehors du dimanche. Le jeûne était alors strictement circonstanciel et il était hors de question de l’inscrire dans la régularité. Mais au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, notamment avec la guerre de Trente Ans, des traditions se sont développés et des pratiques de jeûne annualisées se sont instaurées», relate Christian Grosse.
Il explique: «Le jeûne circonstanciel correspond vraiment à une vision du monde qui est celle du XVIe siècle, les évènements sont directement liés à la providence divine. Par exemple, l’incendie dans une localité est interprété comme un appel à un jeûne de repentance. Puis la société s’est organisée, par exemple pour lutter contre le feu, et la nécessité de s’attirer les bonnes grâces de Dieu n’est plus directement liée à la protection contre les évènements tragiques.»
Un message du Conseil d’Etat vaudois
Les ministres du culte des Eglises reconnues par le canton de Vaud (réformés, catholiques et communauté israélite) ont reçu un texte signé du gouvernement. L’arrêté qui l’accompagne précise qu’ils «sont invités à en donner connaissance aux fidèles sous la forme qu’ils jugeront la plus appropriée». Impossible de connaître le nombre de paroisses dans lesquelles ce texte sera effectivement lu ou transmis. Eric Golaz, le délégué du Conseil d’Etat aux affaires religieuses précise qu’en plus ce texte est «publié deux fois dans la Feuille des avis officiels. Le mardi précédant le jeûne sous la forme d’arrêté, puis le vendredi avec une mise en page plus soignée.» Le fonctionnaire précise en outre que «le Conseil d’Etat apprécie cette occasion de proposer un message qui sort des contingences de l’actualité.» Ainsi cette année, c’est le bien-être commun qui est au cœur des réflexions du gouvernement. «Dans le quotidien, dans chacune de nos interactions et de nos rencontres, nous pouvons participer ensemble tout simplement au bien-être commun», lit-on dans le texte du Conseil d’Etat. En Suisse romande, le gouvernement vaudois est le seul à se livrer à cet exercice. «Cela existe ailleurs en Suisse alémanique», prévient toutefois Eric Golaz. «Saint-Gall, par exemple publie son message du jeûne sur un beau papier qui est envoyé également aux autres cantons.»