L’Amérique et ses deux drapeaux
La théologienne neuchâteloise Muriel Schmid réagit face au débat autour du drapeau confédéré. Elle vit aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années et travaille comme directrice de programme pour les Equipes chrétiennes pour la paix à Chicago.
Photo: CC (by-nc-nd) fauxto_digit
Le débat autour du drapeau confédéré est un débat propre à l’histoire des Etats-Unis. Groupes et communautés dans les Etats du sud des Etats-Unis sont souvent divisés quant à son symbolisme et le droit à le faire flotter tant sur les bâtiments publics que dans des lieux privés. Après la tuerie de Charleston en juin 2015, le débat fut ravivé et, en réaction, la Caroline du Sud a finalement retiré le drapeau confédéré qui était planté au sommet du siège politique de l’Etat. Le drapeau confédéré est, en effet, porteur d’un symbolisme pour le moins problématique!
Arboré par les troupes sudistes entre 1861 et 1865 durant la Guerre de Sécession, le drapeau confédéré représente le sud esclavagiste qui cherchait alors à se séparer du nord afin de ne pas se soumettre aux nouvelles lois qui allaient abolir l’esclavage sous la présidence de Lincoln. Les onze étoiles qui décorent la croix au centre du drapeau correspondent aux onze Etats séparatistes; les sept premiers (Alabama, Floride, Géorgie, Louisiane, Mississippi, Caroline du Sud et Texas) furent rejoints au début de la Guerre de Sécession par quatre autres États (Arkansas, Caroline du Nord, Tennessee et Virginie).
Pour certains, ce drapeau fait partie intégrante de l’histoire américaine, en particulier de l’histoire du sud des États-Unis et ne devrait être perçu que comme un simple héritage culturel; pour d’autres, cet héritage culturel n’est en rien innocent et renvoie directement aux valeurs racistes et esclavagistes défendues par les Etats sudistes à la fin du XIXe siècle. Dans le contexte des tensions raciales actuelles, le débat autour du drapeau confédéré resurgit de manière régulière. Un exemple récent date de la mi-juin de cette année.
Lors de son synode annuel qui s’est tenu à St Louis, non loin de Ferguson, les 14 et 15 juin dernier, les baptistes du sud (Southern Baptists) qui forment la plus grande église protestante des Etats-Unis (environ 16 millions de membres) ont adopté une résolution historique qui condamne l’usage du drapeau confédéré. Il faut comprendre que cette dénomination, fondée en Géorgie en 1845, est directement issue du mouvement antiabolitionniste de l’époque et s’opposait ouvertement aux discours contre l’esclavage des baptistes du nord. La raison historique de cette dénomination était donc la défense de l’esclavage, basée elle-même sur une lecture tronquée des textes bibliques et une interprétation discutable des principes chrétiens. C’était bien en tant que chrétiens que les fondateurs de cette dénomination justifièrent leur élan séparatiste et leur approbation des pratiques esclavagistes. Leur condamnation publique du drapeau confédéré représente ainsi une relecture fondamentale de cette histoire et des erreurs qu’elle a défendues.
Russell Moore, le président actuel de la commission d’éthique de la dénomination, a salué avec émotion cette décision tout en restant réaliste sur ses effets: «Est-ce que cela va modifier la dynamique difficile qui se joue autour des injustices raciales actuelles? Bien sûr que non. Mais en même temps on ne peut pas ignorer ce geste sous prétexte qu’il ne s’agit là que d’un symbole. Les symboles sont importants.» Et il ajoute que le « Synode a reconnu aujourd’hui ce que le drapeau confédéré représente et ce qu’il communique à nos frères et sœurs afro-américains en Christ. Le drapeau renvoie à une époque où… la religion sudiste développa une vision théologique populiste anti-biblique en opposition aux enseignements de Jésus. Le drapeau fait également écho à de nombreuses années de terreur nationale contre les personnes afro-américaines, souvent accompagnée de violences physiques réelles.»
La résolution votée par les baptistes du sud n’est peut-être en fin de compte qu’un geste symbolique qui tente, tardivement, de nommer le pouvoir de cet autre symbole qu’est le drapeau confédéré. Si les symboles importent bel et bien, l’un a peut-être le pouvoir de repousser l’autre dans l’ombre. En même temps, il est possible que dans les années qui viennent, une réflexion de fond se fasse au sein de la dénomination autour des exclusions pratiquées et des justifications biblico-théologiques qui les sous-tendent.
Avec, entre autres choses, la montée du racisme, de l’islamophobie et de l’homophobie, tous trois souvent teintés de prêchi-prêcha, les discours haineux inspirés par une certaine morale chrétienne doivent être activement dénoncés. Il ne s’agit pas de bataille théologique abstraite, la vie de certains individus est en danger ici et ailleurs ; ici aussi ! Au lendemain de la tuerie d’Orlando, un prédicateur de cette même ville a déploré lors de son sermon dominical qu’il n’y ait pas eu davantage de victimes, qu’ils méritaient tous d’être exécutés. En tant que chrétiens, nous sommes tous responsables de ces discours de haine et nous sommes tous chargés de les démanteler ; eux aussi sont un produit du christianisme ! Les baptistes du sud l’ont aujourd’hui bien compris.