Les migrants créent un boom religieux à Genève

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Les migrants créent un boom religieux à Genève

Stéphane Herzog
12 avril 2016
Les églises de la migration, évangéliques en particulier, font florès au bout du lac
L’Eglise protestante a détaché un pasteur africain pour suivre ce phénomène où la foi se vit par le corps et la musique.

Photo: CC (by-nc-nd) Celestial Meeker

Une trentaine de points bleus constellent la carte web développée par le Centre d’information intercantonale sur les croyances (CIC). Ils figurent des églises évangéliques installées à Genève depuis 2000. Ce plan, issu d’un recensement réalisé entre 2012 et 2014, donne une petite idée de la vigueur du renouveau chrétien apporté dans ce canton par des migrants venus de toute la planète. «C’est le courant évangélique qui est le plus fort, avec environ une centaine de communautés religieuses, contre 55 communautés protestantes réformées», indique Brigitte Knobel, directrice du CIC. Avec ses 53 langues parlées dans des cultes, Genève apparaît comme une tour de Babel de la chrétienté.

«Le public qui fréquente ces lieux représente plutôt la classe moyenne à pauvre. Ce sont notamment des migrants sans-papiers, qui font des ménages ou travaillent dans l’aide à la personne. Ils viennent d’Afrique, d’Asie et de l’Amérique latine commente la pasteure à la retraite Roswitha Golder. Les fonctionnaires des organisations internationales vont souvent à l’église anglicane ou luthérienne, précise-t-elle. L’ancienne responsable du mouvement œcuménique Témoigner ensemble à Genève - qui regroupe à une soixantaine d’églises de la migration – décrit des cultes vivants, basés sur l’appel de la personne par l’esprit sain, qui sont émaillés de prophéties et parfois de parlers en langues.

«Ces églises n’ont pas besoin d’un pasteur attitré, car l’église de type pentecôtiste dépend d’un leader qui se croit - ou est - investi par le pouvoir du Saint-Esprit. Ils connaissent la Bible par cœur et leur interprétation est à la fois libérale et légaliste», décrit la pasteure d’origine bernoise, qui prêche encore une fois par mois en espagnol au sein de l’Eglise évangélique méthodiste d’Onex. Nombreuses, et parfois nées d’églises historiques à Genève, les églises de la migration éprouvent des difficultés à trouver des lieux où se réunir. «C’est la galère, comme pour trouver un appartement à Genève», image Brigitte Knobel. Les communautés se débrouillent, investissant des sous-sols et louant leur passage dans des églises protestantes.

50 congrégations africaines

Roswitha Golder cite pêle-mêle des églises nigériane, philippine, brésilienne, chilienne. Elle estime le nombre des seules congrégations africaines à une cinquantaine. D’autres mouvements réunissent un public plus mélangé. C’est le cas par exemple de l’International Christian Fellowship, église évangélique qui propose ses cultes dans le quartier des Grottes. «On y entend du rock chrétien avec de la batterie à la place de l’orgue. Les chants sont guidés par des groupes de louanges placés devant, comme dans un concert. Ici, ce n’est pas le message du pasteur qui est pas le plus important: on chante, et on est inspiré pour le reste de la semaine», décrit la pasteure à la retraite (voir aussi encadré ci-contre).

Cette liturgie vivante, qui draine chaque semaine des milliers de croyants, est-elle susceptible d’intéresser ou d’inspirer les églises officielles? «Les différentes communautés s’enrichissent mutuellement», commente le nouveau pasteur de Chêne, Gabriel Amisi. Cet homme de foi, d’origine africaine, est en lien avec les églises de la migration dans le cadre d’un mandat de l’Eglise protestante de Genève. Elle lui a confié un temps partiel de 20%. Il lui permet de réaliser un travail de réseau en tant que responsable du mouvement œcuménique Témoigner Ensemble à Genève.

Que pense-t-il du travail des églises évangéliques? «Certaines réactivent d’anciennes traditions, comme par exemple l’imposition des mains. C’est un retour aux sources bibliques et cela peut nous interpeller pour revoir notre hymnologie. Par ailleurs, les jeunes d’aujourd’hui ne se retrouvent pas forcément dans les cantiques et l’orgue. Il faut aussi adapter le message», résume l’homme né en République démocratique du Congo. Dans sa région natale, le culte vibrait au son du tam-tam, se souvient-il.

Prières africaines sous un hôtel aux Pâquis

Les mains jointes, yeux clos, le pasteur Carl A.Shipley, laisse à son assistant et à un petit groupe de musiciens le temps de réchauffer l’assistance en chanson durant 45 minutes liminaires. Dans les sous-sols feutrés du Novotel, un confortable établissement du quartier des Pâquis, se réunissent chaque dimanche des membres de la Redeemed Christian Church of God. Le public de cette congrégation pentecôtiste est africain à 100% et majoritairement anglophone, même si une jeune femme traduit le prêche en français à l’attention de quelques Africains de l’Ouest. Puis Carl A.Shipley, ceint dans un impeccable costume, rejoint le pupitre.

Ce Caribéen d’origine, ancien catholique, missionnaire 25 ans durant en Namibie, est un professionnel de la foi. Son prêche sur l’amour inconditionnel du Christ accroche l’assistance, qu’il harangue avec des exemples tirés de la vie de tous les jours. «Hier j’avais un début de grippe, mais aujourd’hui, je suis guéri. Mon émotion me poussait vers la maladie, mais ma foi m’a dit: tu es soigné», raconte-t-il. «Vous êtes toujours avec moi?», demande sporadiquement Carl A.Shipley. Certains croyants ont commencé leur dimanche à 7h30 avec des études bibliques, mais le groupe répond toujours «Amen» vigoureusement. «Nous venons pour ramener le Christ en Europe», confie dans un grand sourire cet homme de foi.