Que se passe-t-il quand la Bible est citée dans une condamnation à la peine de mort?

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Que se passe-t-il quand la Bible est citée dans une condamnation à la peine de mort?

The Marshall Project*/RNS/Protestinter
15 février 2016
Brandon Astor Jones, qui a été exécuté dans l’état de Géorgie mercredi 3 février dernier, a été condamné à la peine de mort deux fois. La première fois, sa sentence a été cassée à cause d’une raison improbable: une Bible avait été admise dans la salle des jurés, et un juge d’appel a considéré que les jurés avaient laissé le texte biblique l’emporter sur la Constitution. Il a toutefois été condamné une deuxième fois en 1997, et cette fois aucune bible n’a été impliquée.

Photo: CC(by-nc) Kelpiesailing

*The Marshall Project est une organisation à but non lucratif qui analyse le fonctionnement du système judiciaire américain

Dans les cas de peine de mort, la Bible joue souvent un rôle. La décision d’envoyer un condamné à l’exécution a incontestablement des connotations théologiques: les avocats de la défense poussent les jurés avec des passages sur la miséricorde, tandis que les procureurs préfèrent utiliser les versets qui traitent du châtiment, de la faute. Deux professeurs de droit de Cornell ont étudié plusieurs cas et ont trouvé que les juges font rarement le même usage des citations bibliques dans les tribunaux, ce qui conduit à des résultats variés.

Il existe une poignée de cas de peine de mort où les citations bibliques ont été utilisées. Ces usages ont donné lieu à des recours. Pouvez-vous deviner si les cours de cassation ont admis ces usages de la Bible? (Les réponses sont ci-dessous.)

1. «Il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attache au cou une grosse pierre et qu’on le noie au fond de la mer.»Matthieu 18:6 (et ailleurs dans la Bible)

En 2013, pendant le procès pour meurtre de Rodricus Crawford en Louisiane, le procureur Dale Cox a soulevé le discours de Jésus à propos de la noyade de ceux qui font du mal aux enfants (cet argument a aussi été utilisé par Dale Cox dans d’autres cas). Dale Cox résume ce discours comme «pas le Super-Christ, pas le Christ bon, mais le Christ juste». Est-ce que ce recours à la Bible a été admis?

2. «Jésus dit alors: “Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.”» — Luc 23:34

Durant le plaidoyer final du procès de Keith Messiah en 1983, pour le meurtre d’un touriste dans un restaurant de Nouvelle Orléans, la défense a fait un plaidoyer prenant aux tripes pour la miséricorde: «Je peux seulement vous rappeler qu’il y a près de 2000 ans quand ils ont pris un homme, l’ont déshabillé, battu, mis une couronne, transpercé son côté, cloué sur un croix. Devant sa mère et ses proches qui étaient au pied de la croix, Il n’a pas dit de ses bourreaux “mettez ces gens sur la chaise électrique, envoyez-les en enfer”, il a soulevé ses yeux et dit “père, pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.”» Est-ce que cet argument a été admis?

3. «Si un meurtre a été commis au moyen d’un objet en métal, l’auteur est un assassin et doit être mis à mort.»Nombres 35:16

Durant le plaidoyer final au procès de Rudolph Roybal, en 1992, le procureur californien James Koerber a fait un long discours au sujet d’un «livre, écrit il y a longtemps, qui mentionne ce qu’est la peine appropriée pour le meurtre». Il a ensuite récité une variété de citations bibliques. Est-ce que ces citations ont été jugées admissibles?

4. «Celui qui répand le sang de l’homme, c’est par l’homme que son sang sera répandu, car Dieu a fait l’être humain à son image.»Genèse 9:6 et «œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied»Exode 21:24

Un jury californien a longuement débattu au sujet de Stevie Lamar Fields, qui demandait la libération conditionnelle alors qu’il avait été condamné pour l’assassinat d’un étudiant à l’Université de Californie du Sud, en 1978. Le président du jury racontera plus tard dans une déclaration écrite, avoir récité une liste de versets bibliques. Finalement, le jury a choisi à l’unanimité la mort de Stevie Lamar Fields. Les citations bibliques ont-elles été jugées admissibles?

5. «Celui qui maudit son père ou sa mère doit être mis à mort»Matthieu 15:4

En 1981, Larry Romine, un chanteur de gospel et un prédicateur occasionnel, a tué sa mère et son père dans l’état de Géorgie. Pendant qu’ils délibéraient, les jurés ont été isolés dans une église, plutôt que dans un hôtel, comme à l’habitude. Ils ont bénéficié d’une pause le dimanche, mais devaient rester dans l’édifice. Le juge avait alors déclaré qu’il espérait qu’un pasteur «puisse les mettre dans une pièce et leur donner un bon sermon, jusqu’à ce qu’ils entrent en matière» au sujet la décision du jury. Cette remarque a-t-elle provoqué l’annulation du procès?

6. «Celui qui s’oppose à l’autorité s’oppose à l’ordre voulu par Dieu. Ceux qui s’y opposent attireront le jugement sur eux-mêmes.»Romains 13:2

Les délibérations d’un jury texan s’éternisaient pour savoir si Jimmie Lucero devait être condamné à mort pour le meurtre d’une famille en 2003. La lecture de Romains 13, 1-6 par le président du jury, visait à expliquer aux membres minoritaires du jury qu’ils devaient rejoindre la majorité parce que le «pouvoir» de la loi de l’Etat autorise la peine de mort. Cela a permis au jury d’avoir l’unanimité sur la sentence. Est-ce que la lecture de ce texte a été admise?

7. «“Maudit soit celui qui déshonore son père et sa mère.” Et tout le peuple répondra: “Amen!”»Deutéronome 27:24

Durant le procès de James Gell en Caroline du Nord en 1998, après que l’avocat de la défense a rappelé l’importance de la miséricorde dans le Nouveau Testament, le procureur David Hoke a répondu que «Jésus n’est pas venu pour détruire la loi ou les prophéties de l’Ancien Testament. Il est venu pour l’accomplir». David Hoke a poursuivi en citant le Deutéronome et a dit au jury qu’«il est temps de condamner cet homme, un meurtrier à mourir et laisser la population de Bertie County dire amen». Est-ce que sa remarque a été admise?

Réponses

1. Admis

Après une audience, le juge du tribunal a décidé que l’argument biblique «n’était pas nuisible dans la mesure où il n’a pas conduit à un résultat différent.» Mais le dossier reste ouvert devant la Cour suprême de Louisiane. Cent chefs religieux ont déposé une lettre au tribunal, en arguant que Dale Cox «a imposé publiquement ses propres interprétations de la Bible dans le procès», en violant ainsi la Constitution. Cette ligne de défense a été approuvée en Caroline du Nord, mais pas en Pennsylvanie ou dans l’Oklahoma.

2. Admis

La Cour suprême de Louisiane a jugé que les propos de la défense étaient «raisonnables dans les normes professionnelles en vigueur.» (Un grand nombre de normes ont changé depuis le procès de Keith Messiah, qui n’avait duré qu’un seul jour.)

3. Pas admis

En décembre 2015, Rudolph Roybal a été libéré du couloir de la mort, après que le juge du district américain Jeffrey Miller a jugé qu’«il était évident que le procurent voulait soutenir intentionnellement et avec force que les autorités religieuses recommandaient la peine de mort.» La justice doit maintenant décider soit de condamner Rudolph Roybal à nouveau à la peine de mort, ou alors pour une peine de prison sans possibilité de libération.

4. Admis

Les tribunaux ont fait volte-face. En 2000, un juge fédéral de district a annulé la condamnation à mort de Stevie Lamar Fields, affirmant que le président du jury avait accepté à tort que des préceptes religieux jouent un rôle dans les délibérations. Sept ans plus tard, un tribunal a renversé la décision et a renvoyé Stevie Lamar Fields dans le couloir de la mort.

5. Pas admis

La Cour suprême de Géorgie a annulé la peine de mort, parce qu’«un procureur a trompé le jury quand il a cité les Ecritures comme l’autorité supérieure sur la question du meurtre des parents de l’accusé.»

6. Admis

La Cour d’appel pénal s’est ralliée au président du jury, qui a affirmé dans une déclaration sous serment: «il n’y avait aucun indice que la Bible ait été consultée comme autorité légale.» La Cour suprême des Etats-Unis a refusé d’instruire ce cas, et Jimmie Lucero reste donc dans le couloir de la mort.

7. Admis

En 2000, le juge de la Cour suprême de Caroline du Nord, Henry Frye, a écrit que les arguments bibliques étaient admissibles puisque le cas était très contesté. Mais en 2002, une Cour d’appel a constaté que les procureurs avaient retenu des preuves dans ce procès. James Gell a été libéré de prison en 2004 et a reçu 3,9 millions de dollars dans un procès civil.