A force de dire que personne ne s’intéresse aux Eglises, on s’en convainc
Rédacteur responsable de Protestinfo, Joël Burri partage un questionnement né sur les bancs réservés à la presse des rencontres des organes délibérant des Eglises.
Photo: les cinémas aussi peuvent être vides CC(by) Ralf B.
Lorsqu’une organisation à but idéal qui annonce représenter 2,4 millions de Suisses (28% de la population) se réunit pour prendre position sur des thèmes tels que le respect du droit international (initiative sur les juges étrangers), la prise en charge spirituelle des migrants ou adopter en toute transparence un budget de plus de 6 millions de francs… on pourrait s’attendre à ce que les journalistes se bousculent sur les bancs réservés à la presse, comme c’est le cas pour chaque assemblée des délégués d’un parti politique qui revendiquerait ne serait-ce que 10% des électeurs.
Et pourtant non, assemblées après assemblées des délégués de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse, les journalistes de Protestinfo ne partagent les places réservées aux médias qu’avec leurs homologues de Suisse alémanique et un représentant de la feuille locale, lorsque la rencontre se déroule dans une localité suffisamment petite pour qu’un rassemblement d’une petite centaine de personnes constitue un événement.
Alors bien sûr, toute organisation à but idéal ne peut pas être mise sur un pied d’égalité et on ne peut pas comparer le travail politique qui débouche sur des lois qui s’appliqueront à tous, avec celui des Eglises dont les positions ne regardent que la conscience des croyants. Sauf que je ne suis pas sûr que l’impact politique des Eglises soit si anodin que cela, et de toute manière l’intérêt public à suivre ce qui est fait au nom de 28% de la population et avec des fonds issus de dons, voire de contributions cantonales, ne me semble plus à démontrer.
Si j’avais écrit cet édito la semaine passée, je pense que je me serais lancé dans une diatribe contre les médias qui ne se rendent même pas compte que les gens participent davantage à de cérémonies religieuses qu’ils ne vont au cinéma! Si! si! En 2014, les Suisses ont acheté en moyenne 1,6 place de cinéma par habitant (1,9 en 1008). Pour la pratique religieuse, les chiffres sont plus discutables et probablement surévalués: avec 15% de participation sur un week-end ordinaire pour 84,5% de la population affiliée à une religion on flirte autour des 6,5 cérémonies par années. Même en faisant un rapide calcul, si 20% de la population (qui déclare participer une fois ou plus par mois) va une fois par mois à une cérémonie religieuse, cela en ferait déjà 2,4 par année et par habitant.
Seulement, voilà, ce week-end j’ai suivi le synode de l’Eglise réformée évangélique du canton du Valais (là aussi j’étais le seul journaliste) et lors d’un débat informel sur la participation de cette Eglise à la récolte de signatures pour l’initiative pour une nouvelle Constitution valaisanne, le pasteur Philippe Genton est intervenu: «Si nous continuons à dire qu’il y a personne au culte, nous nous suicidons!» Rappelant que l’Eglise ce n’est pas que le culte dominical, il a mis en évidence la vitalité des paroisses et la multiplicité de ses activités. J’aurais envie de rajouter qu’alors qu’il y a 557 salles de cinéma en Suisse, il y a 914 paroisses, selon ref.ch, rien que pour les réformés avec pour la plupart, plusieurs lieux de culte, normal qu’avec une telle abondance le public se disperse un peu!
«Chaque fois que nous disons qu’il n’y a personne au culte, on convainc les gens que cela ne sert à rien», a poursuivi le pasteur Genton. Et c’est vrai que depuis que je travaille à Protestinfo, j’ai assisté à des cultes vivants, à des cultes profonds, à des cultes beaux et à des cultes ennuyeux, dans des temples plus ou moins remplis. Mais dans le même temps, j’ai vu des films émouvants, des films beaux, des films effrayants et pas mal de films ennuyeux dans des salles plus ou moins remplies. Il m’est même arrivé d’être seul dans une salle.
Alors finalement le pasteur Genton m’interroge: si c’était les croyants qui avaient réussi à convaincre la population – les journalistes en premier – que les Eglises ont tellement perdu d’importance que cela ne vaut même plus la peine de s’y intéresser.