«Les fous causent le mal qu'ils veulent éviter»
Rédacteur responsable de Protetinfo, Joël Burri partage son questionnement à la lecture d'une récente édition d'un texte de Sébastien Castellion, auteur de la célèbre citation: «Tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine: c'est tuer un homme»
«Conseil à la France désolée», tel est le titre de l'ouvrage que viennent de publier les éditions de La passe du vent. Encore un essayiste français qui pense avoir trouvé recette à tous les maux de notre grande voisine, me direz-vous? Et bien non, car malgré son titre troublant d'actualité, vous ne verrez l'auteur de cet opus ni dans «On n'est pas couché», ni dans «Vivement dimanche». Sébastien Castellion a une bonne excuse pour refuser à son éditeur d'assumer la promotion de son livre: il est mort depuis 451 ans!
Plusieurs évènements ont eu lieu cette année pour fêter les 500 ans de la naissance du réformateur. Cette publication qui met face à face le texte original de 1562 et une transposition en français contemporain en fait partie. L'occasion de découvrir la pensée de celui que l'historien William Lecky a qualifié d'«un des plus éminents précurseurs du rationalisme», comme le rappelle Michel Kneubühler qui signe l'intéressante introduction et la transposition en français de 2015.
Dans ce texte écrit au début de la première des huit «guerres de Religions», Sébastien Castellion développe l'idée que ce n'est pas par la force que l'on convaincra les hérétiques, mais par la seule argumentation. «Comment a résisté Jésus-Christ face aux pharisiens et aux sadducéens? Et les apôtres, comment résistèrent-ils à Simon le magicien, à Bar-Jésus et à d'autres? N'est-ce pas par des paroles divines et vertueuses, sans mettre la main à l'épée ni inciter aucun responsable public ni aucun particulier à la faire?»
Le texte pourrait sembler dépassé. Il y a déjà quelques années que l’on ne condamne plus à mort pour hérésie. Mais si les actes ont changé, les pensées qui en étaient les moteurs se sont-elles vraiment évanouies? «La chrétienté est aujourd'hui divisée en un grand nombre de sectes qui se considèrent toutes les unes les autres comme hérétiques», constatait Sébastien Castellion. Les relations inter-confessionnelles et inter-religieuses ont-elles vraiment évolué?
Loin de sombrer dans le relativisme qui consisterait à penser que toutes les pensées se valent, Sébastien Castellion reste ancré dans ses valeurs protestantes. Mais sûr de ses convictions il constate que «les fous causent le mal qu'ils veulent éviter. En effet, les séditions viennent plutôt de ce que l'on veut forcer et tuer les hérétiques plutôt que de les laisser vivre sans les contraindre.»
A l'heure où dans une société qui a perdu ses repères, l'arrivée de quelques réfugiés est perçue comme une «immigration démesurée». La lecture de Sébastien Castellion donne indubitablement à réfléchir.