«Nous nous accusons»

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«Nous nous accusons»

Marcus Mockler
19 octobre 2015
La Déclaration de Stuttgart a été signée il y a 70 ans

Photo: Berlin, le 23 juillet 1933, propagande pour la liste sympathisant avec les nazis lors d’une élection ecclésiale. CC(by-sa) Bundesarchiv

, Stuttgart, EPD/Protestinter

Allemagne, 1945. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les villes ne sont plus que ruines, et les slogans nazis évoquant la «victoire finale» se sont évanouis. Comment l’Eglise protestante est-elle censée réagir à cet effondrement, cette Eglise qui s’est en partie compromise avec le mouvement national-socialiste? Le 19 octobre 1945, des évêques protestants et des chefs d’Eglise signaient à Stuttgart un mea culpa, qui était en même temps le signal d’un nouveau départ. Ce qui, il y a 70 ans, suscita une vague d’indignation.

«A travers nous s’exprime un regret éternel envers de nombreux peuples et pays», peut-on lire dans le document. «Nous nous accusons de ne pas avoir montré plus de courage, prié avec plus de ferveur, cru avec plus d’allégresse et aimé plus intensément.» Parmi les signataires, on comptait aussi bien des archevêques en fonction et de futurs archevêques que Gustave Heinemann, qui deviendrait par la suite président fédéral. Le texte avait été rédigé par des membres du Conseil de l’Eglise Protestante d’Allemagne (EKD), nouvellement créée: Christian Asmussen, Otto Dibelius et Martin Niemöller.

Lors de sa session d’octobre, le Conseil de l’EKD s’était réuni sous une certaine pression: des représentants haut placés de l’Eglise, venus de pays contre lesquels on était en guerre encore récemment, s’étaient mobilisés à Stuttgart pour rétablir les relations entre les Eglises protestantes. Mais cela nécessitait de la part du protestantisme allemand un signe clair, qui reconnaissait sans ambigüité sa part de responsabilité dans les crimes nazis. C’est ce qu’est venu apporter le mea culpa de Stuttgart.

Pourtant, cette déclaration ne fut pas seulement un texte tactique, souligne l’historien munichois Harry Oelke, président de la commission de travail protestante pour l’histoire de l’Eglise. Déjà, dans les mois qui ont précédé la déclaration, une prise de conscience de l’implication de l’Eglise dans le national-socialisme a eu lieu et, chez certains membres du Conseil, un sentiment de culpabilité personnelle. Selon Oelke, il ne fait cependant aucun doute que la visite de représentants ecclésiastiques venant de pays étrangers a accéléré le processus qui a mené au mea culpa.

Mais d’un point de vue contemporain, ce mea culpa pose quelques problèmes fondamentaux. Il n’est ainsi fait aucune mention du massacre des Juifs. Les formules au comparatif («plus de courage», «plus de ferveur», «plus intensément») peuvent parfaitement laisser entendre qu’il y a eu beaucoup de courage, de foi et de ferveur, mais que ce n’était pas encore suffisant. Ne sont évoqués ni les liens avec le régime nazi, ni l’action funeste des «chrétiens allemands», ni l’antisémitisme de l’Eglise. De plus, ce qui se cache derrière ce «nous» utilisé dans la déclaration reste totalement dans le flou: désigne-t-il seulement les signataires, ou tous les protestants, ou bien même tout le peuple allemand?

Le document s’est en partie heurté à une violente opposition en Allemagne. Dans la communauté d’Hanovre, par exemple, les lettres de protestation ont rempli des caisses entières. Les gens se sont sentis entraînés dans une culpabilité envers des crimes dont ils ne s’estimaient pas responsables. Au fond d’eux-mêmes, ils étaient les victimes, et non les coupables.

A l’extérieur de l’Allemagne, le mea culpa rencontra le succès escompté. Des communautés religieuses aux Etats-Unis envoyèrent ainsi des colis pour venir en aide à leurs frères et sœurs qui avaient été bombardés. Cela ouvrit la voie à la réhabilitation des protestants allemands et à la coopération des instances œcuméniques à l’échelle mondiale.

Pour Harry Oelke, historien, le mea culpa de Stuttgart a eu en outre des effets importants et durables. En effet, ce texte a été à l’origine d’une chaîne de décisions qui ont profondément ancré dans le protestantisme la pensée démocratique. Alors que ces méthodes démocratiques n’existaient pas encore dans le mouvement de «l’Eglise confessante» (BK), qui critiquait pourtant le régime, l’Eglise protestante s’est alors découvert le «rôle de gardien» avec lequel elle accompagne désormais la politique de son regard critique.