Hors cadre
Antoinette Hurni, conseillère synodale de l’Eglise réformée évangélique du Canton de Neuchâtel, partage un texte qu'elle a prononcé lors de la «méditation» qui ouvre chaque rencontre de cet exécutif.
Illustration: «L’Annonciation» de Léonard de Vinci (vers 1474) peut être admirée au Musée des Offices de Florence
Enseignante retraitée, je me suis rendue récemment à Florence, pour accompagner une classe de dernière année de collège, option italien. Parcours historique et culturel oblige, nous nous retrouvons au Musée des Offices, serrés dans des salles moites, entre œuvres emblématiques de Botticelli et visages asiatiques concentrés.
Les salles sont trop petites, les surveillants trop zélés, les odeurs trop fortes, mais qu’importe.... nous aurons aperçu cette Vénus aux courbes parfaites et ces portraits emplis de l’ardeur de la Renaissance. Entrez, je vous y invite.
Plus loin, une salle à l’atmosphère plus recueillie aligne les peintures à motifs religieux. «Des scènes d’annonciation», commente brièvement ma collègue que la chaleur et la fatigue ont rendue moins bavarde. C’est alors qu’une élève –je l’appellerai Marie– s’extrait de la grappe humaine qui l’enserre et m’aborde, mi-inquiète, mi-gênée. «Mais, au fond, on lui annonce quoi?»
«Mais, au fond, on lui annonce quoi?»«On», parce qu’elle n’avait pas compris qui annonçait quelque chose à quelqu’un d’autre. «Lui», parce quelle ne savait pas très bien qui c’était, la destinataire de cette mystérieuse annonce.
Comment auriez-vous réagi? J’aurais pu, bien sûr, pourfendre l’enseignement actuel, dénoncer l’acculturation religieuse, me lamenter sur cette ignorance abyssale. Oui, j’aurais pu, et, avouez-le, cela nous arrive, à nous qui, à coups de lectures bibliques et d’anniversaires de la Réforme, sommes devenus détenteurs de vérités, de savoirs et de traditions.
Mais, juste avant que je réponde à Marie, si vierge de connaissances, dans cet instant suspendu, métaphore d’éternité, entre le dit et le non-dit, dans cet instant de grâce où rien n’est encore fait mais où tout se passe déjà, dans cette goutte de silence entre Marie et moi, une sorte d’esprit transcendant nous enveloppe.
Jeune Marie en jeans et en baskets, jeune vierge, tu étais en demande d’absolu. «Parce qu’au fond, on lui annonce quoi?» Et dans cette bulle soudain créée, hors de la foule, hors du temps vécu et du lieu donné, j’allais être, au sens grec et fort du terme, ton ange. Envoyée là pour déposer dans ta conscience cette graine d’amour et de vie.
Oui, Marie de 2015, à cette Marie qui te ressemble autant qu’elle diffère de toi, on lui annonce cette fécondation salvatrice, ce prince dépourvu de tout attribut visible, ce bébé innocent.
Du tableau, de cet ange au sourire recueilli, de cette femme ordinaire et sereine, l’annonciation descendue jusqu’à nous sort de son cadre pour se vivre là, dans le murmure et dans la tiédeur d’une confidence: c’est Jésus qu’on annonce. Vivant et mort pour toi qui es dorénavant détentrice du mystère. Vierge Marie d’un collège de province, tu as accepté de poser la question, tu as accepté de recevoir le trésor de la révélation en te hissant hors de l’indifférence muséale.
L’annonciation n’est pas enfermée dans le rectangle net d’un tableauSi belles qu’en soient les représentations, l’annonciation n’est pas enfermée dans le rectangle net d’un tableau de maître. Elle en sort pour se répandre comme eau de source, eau de vie dans le lit desséché de nos manquements. Que chacun de nous soit tantôt à l’image de l’ange, tantôt à celle de Marie pour que prenne sens ce devoir heureux d’évangélisation.
Parce qu’au fond, on leur annonce quoi, à nos enfants, à nos partenaires, à nos voisins?… C’est la question que je vous offre ici.