Big Brother à l’Eglise

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Big Brother à l’Eglise

Nadine Emmerich
27 août 2015
Une entreprise spécialisée dans la reconnaissance faciale propose une version de son logiciel permettant de savoir qui vient au culte.

Photo: Capture d’écran de la présentation vidéo de «Churchix», DR

, Francfort sur le Main, EPD/Protestinter

Compter ses ouailles a pris une nouvelle dimension dans certaines églises. L’éditeur de logiciels israélo-américain Face-Six a développé un outil de reconnaissance faciale baptisé «Churchix». Les Eglises utilisent cette application pour noter qui assiste au culte, et qui manque à l’appel. Jusqu’à présent, 42 Eglises à travers le monde auraient recours à cette application, d’après les indications de Moshe Greenshpan, le chef de l’entreprise, à l’agence de presse protestante allemande (EPD). L’Eglise protestante allemande (Evangelische Kirche in Deutschland, EKD) ainsi que la Conférence épiscopale allemande, catholique, ont quant à elles annoncé qu’il n’y aurait pas de tels contrôles dans les Eglises allemandes.

D’après les médias, le logiciel est utilisé par des Eglises aux Etats-Unis, au Portugal, en Afrique, en Indonésie et en Inde. S’il ne commente pas ces informations, Greenshpan s’enthousiasme dans une interview pour le site américain «Churchmag», spécialisé dans les nouvelles technologies à l’usage des Eglises: «Les retours sont incroyables: pour les Eglises avec qui nous avons pu échanger, c’est un rêve qui devient réalité.»

D’un point de vue technique, le rêve fonctionne de la façon suivante: la paroisse installe Churchix sur un ordinateur quelconque et enregistre dans la base de données des images en haute définition de ses membres. Des caméras, installées dans l’église ou sur un point de passage à l’entrée, sont reliées au système. Elles transmettent les photos et les vidéos à l’ordinateur, Churchix les compare en quelques secondes avec les images enregistrées au préalable. La reconnaissance effectuée est fiable à 99%, indique Greenshpan.

Décomptage régulier des paroissiens

Ce n’est pas une première pour les Eglises que de dénombrer les personnes qui assistent au culte. Jusqu’ici, cela se faisait à la main. Tant les Eglises protestantes régionales que les diocèses catholiques allemands comptent les participants aux offices religieux à des jours fixés à l’avance.

Churchix permet simplement de le faire de façon numérique, assure le dirigeant de l’entreprise au magazine en ligne britannique «International Business Times UK». Les Eglises clientes sont vivement incitées à informer en toute transparence du recours au logiciel au lieu de l’utiliser en cachette, afin de procéder à un enregistrement des données sur la base du volontariat le cas échéant. Il semble cependant que certaines paroisses n’aient manifestement pas suivi ces recommandations, et l’on peut craindre un défaut d’information des visiteurs à ce sujet, a confirmé Greenshpan à l’EPD. Le seul moyen d’échapper à la surveillance consiste donc à ne pas venir à l’Eglise.

Face-Six compte parmi ses interlocuteurs habituels plutôt des services de sécurité; sa clientèle comporte par exemple des casinos, des aéroports, des centres commerciaux. Et puis les églises ont pris contact avec l’éditeur de logiciels, alors que de l’aveu même de Greenshpan à International Business Times UK, «Nous n’aurions jamais songé aux Eglises comme clients potentiels.»

Churchix offre de nouvelles perspectives aux ecclésiastiques en leur permettant d’établir des statistiques détaillées et des profils de fréquentation de leurs paroissiens, tels que l’âge ou le genre des participants aux cultes. L’application permettrait également de cibler plus particulièrement des visages nouveaux ou de tenter une reconquête des fidèles qui auraient pris leurs distances.

Contrôle d’accès

Churchix peut également servir de système de sécurité lorsque les photos de personnes interdites d’accès ou encore de délinquants y ont été enregistrées. Ainsi, une Eglise aurait d’ores et déjà recours au logiciel pour identifier des criminels et des délinquants sexuels, a déclaré Greenshpan au magazine en ligne «Motherboard», sans toutefois indiquer concrètement qui figure parmi les clients de Churchix. Aux Etats-Unis aussi, le logiciel doit faire face aux critiques sur la protection des données.

En Allemagne, les fidèles n’auront à craindre ni d’être filmés ni de faire l’objet d’un enregistrement numérique en assistant au culte à l’avenir. «Le recours à un logiciel de ce type pour surveiller les participants à l’office est juridiquement impensable», selon une porte-parole de l’EKD qui indique, tout en précisant que Churchix va bien au-delà, que la vidéosurveillance ne peut être autorisée que dans le cadre très étroitement défini de la règlementation sur la protection des données de l’EKD. Or cette dernière précise: «Toute vidéosurveillance est interdite pendant les offices religieux.»

De même, Daniela Elpers, porte-parole adjointe de la Conférence épiscopale allemande, fait état d’obstacles relatifs à la protection des données et poursuit: «Une vidéosurveillance de ce type n’est actuellement pas imaginable dans les églises catholiques en Allemagne; elle n’entre pas dans notre “culture religieuse”, différente en bien des points de la culture religieuse américaine.»

Vidéo

Présentation (en anglais) du logiciel «Churchix»