Ces féministes qui refusent de renoncer à la foi

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Ces féministes qui refusent de renoncer à la foi

14 août 2015
Quinze auteures chrétiennes, juives et musulmanes racontent comment elles concilient leur foi et leurs idées féministes dans le collectif «Faithfully feminist»
Cet ouvrage s’interroge sur la place des femmes dans la religion et malgré une misogynie flagrante pourquoi les femmes continuent d’y adhérer.

Photo: © RNS

Par Lauren Markoe (RNS-Protestinter)

Avant de se convertir à l’Islam, Jennifer Zobair a eu une question très importante à poser à l’imam, à propos d’un verset du Coran dans lequel les maris semblaient avoir le droit de battre leur femme. «Est-ce vraiment ce que cela signifie?», a demandé l’avocate d’affaires new-yorkaise qui était fiancée à un musulman et confiante que l’imam lui répondrait que l’islam n’encourage pas la violence envers les femmes.

«Oui», a répondu l’imam d’un ton neutre. «Dans certaines parties du monde, les femmes sont comme les enfants et doivent être traitées en conséquence». Jennifer Zobair, qui se réconforte avec «le fait que dans l’islam personne n’intercède avec Dieu pour le compte d’un croyant», raconte sa conversion dans «Faithfully feminist» (Fidèlement féministe). Cet ouvrage, qui sera prochainement publié, rassemble 45 essais écrits par quinze femmes chrétiennes, juives et musulmanes, qui s’expriment sur le conflit entre féminisme et religion.

«Pourquoi rester?»Telle est la question à laquelle ont réfléchi les quinze auteures. Pourquoi adhérer à une religion qui refuse l’ordination des femmes? Alors que les hommes juifs remercient dans leurs prières quotidiennes de ne pas être nés femme et qu’une femme musulmane qui ne se couvre pas les cheveux est considérée comme libertine, pourquoi s’attacher à ces religions?

La majorité de ce groupe diversifié d’essayistes – qui comprend des mormones, des immigrantes, des rabbins, des pasteures, des avocats et des infirmières – a avoué avoir sérieusement pensé à rejeter la foi ou au moins les traditions de leur propre religion. Certaines d’entre elles l’ont fait, mais pour y revenir.

Souvent marginalisées

Ces femmes se sentent souvent marginalisées, non seulement par rapport à leurs croyances, mais aussi par rapport à leurs idées féministes. Caroline Kline, une blogueuse féministe et mormone écrit qu’elle est «trop féministe pour les mormons et trop mormone pour les féministes».

Que faire quand religion et féminisme s’opposent? Attachées à la religion malgré la misogynie qu’elles rencontrent dans les textes sacrés, les rituels et l’autorité masculine, la majorité des auteures de «Faithfully feminist» décrivent des moments où elles ont essayé de réfréner leur révolte féministe. Ainsi pour pouvoir continuer d’adhérer à leur religion, elles ont dû comprendre que les deux n’étaient pas forcément incompatibles.

«Les traditions en elles-mêmes ne sont pas oppressives. Ce sont les interprétations qui le sont», observe Gina Messina-Dysert, à l’origine de l’ouvrage. Pourtant, Gina Messina-Dysert, doyenne dans un collège catholique pour filles, constate que l’Eglise catholique romaine peut parfois saper la sensibilité féministe qu’elle essaie d’inculquer à sa fille de six ans qui va dans une école catholique.

L’essai de Gina Messina-Dysert s’intitule «Confessions». En voici un extrait: «J’avoue que cela me fait plaisir de voir ma fille faire le signe de croix, mais cela m’apporte aussi de la tristesse. J’avoue que lorsque ma fille parle de Dieu en “Il”, je la corrige pour lui dire que Dieu est “Elle”. J’avoue que j’ai déjà imaginé Dieu comme masculin».

Aussi blessant qu’il soit d’être traitée froidement par des prêtres qui savent qu’elle est en faveur de l’ordination des femmes, ou par un parent qui lui demande pourquoi ne devient-elle pas épiscopalienne, Gina Messina-Dysert trouve que les critiques des fidèles qui rejettent son côté féministe ne sont pas aussi acerbes que les piques des féministes qui rejettent sa foi comme désespérément patriarcale.

«Le féminisme concerne la communauté, la collaboration et le travail en commun pour mettre fin à l’oppression où qu’elle soit, y compris dans la religion», souligne-t-elle. «Etre ainsi critiquée par les féministes me fait davantage mal».

Inférieure aux hommes

Amy Levin, qui a également écrit un essai, semble au premier abord la «féministe heureuse» parmi les quinze auteures. Aucune autorité religieuse dans son monde ne donne le droit au mari de frapper sa femme ou n’interdit de devenir rabbin. Mais même au sein d’un judaïsme libéral américain, Amy Levin remarque des obstacles qui ne se trouvent pas sur le chemin des hommes. Elle se rappelle de son adolescence et écrit: «Je ne l’ai pas réalisé à cette époque, mais mon incapacité à me sentir pleinement engagée spirituellement découle du fait que je me suis toujours sentie inférieure à mes amis de sexe masculin, d’un point de vue religieux».

Pourquoi a-t-elle ressenti cela dans la synagogue d’une banlieue progressiste? Ce sont des choses subtiles, explique-t-elle, par exemple le fait que les hommes portent un châle de prière alors que peu de femmes ont adopté ce genre de vêtement. Elle se souvient qu’elle observait les hommes pendant les services et enviait leur confort, alors qu’ils étaient enveloppés dans une couverture sainte.

Souvent, le parcours inclut la découverte d’autres femmes qui ont lutté pour voir leur foi avec un regard féministe. Un grand nombre d’auteures concluent que ces deux aspects d’eux-mêmes ne doivent pas entrer en concurrence: la foi et le féminisme peuvent se compléter.

Emily Maynard a écrit qu’en grandissant elle avait accepté les enseignements de ses parents évangéliques, qui croyaient que les femmes devaient se soumettre à leur mari et que celles qui travaillaient en dehors de leur maison inspiraient la pitié. A la fin du collège, Emily Maynard a rejeté ces concepts et la foi. Mais, ensuite, elle s’est mise à lire des chrétiennes féministes qui l’ont convaincue qu’il y avait plusieurs manières d’expérimenter la féminité tout en étant chrétienne.

«J’ai appris à célébrer le christianisme comme une quête extrêmement complexe, mystérieuse et belle plutôt que comme une série de règles et de récitations», explique Emily Maynard. «C’est drôle. Quand je pense à quel point je me suis battue contre cette religion et finalement, c’est le féminisme qui a sauvé ma foi».