L’Eglise prend soin des migrants
Joël Burri, rédacteur responsable de Protestinfo, revient sur l’étonnante opposition du Conseil synodal vaudois à l’occupation de Saint-Laurent
Photo: Manifestation autour du refuge de saint laurent (9 mai 2015) CC(by-nc-nd) Gustave Deghilage
Six migrants, principalement érythréens, occupent depuis début mars l’église Saint-Laurent au centre de Lausanne. Ils ont été bien accueillis par les croyants habitués des lieux. Les membres du «collectif R», comme se nomment ces occupants et leur groupe de soutien ont même régulièrement participé comme bénévoles au culte dominical. Par contre, le Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée (EERV), l’exécutif au niveau cantonal de l’Eglise demande la fin de l’occupation.
Une Eglise qui prône l’accueil du prochain et refuse l’occupation d’un temple! Le symbole est fort, et il ne doit pas être facile à assumer pour les autorités ecclésiales. Mais dans le fond en refusant l’instrumentalisation politique d’une situation, Le Conseil synodal n’est-il pas dans le vrai?
Oui le système de Dublin dysfonctionne: renvoyer des personnes d’un pays à l’autre pour de simples questions administratives comme s’il s’agissait de dossiers que se balancent les diverses administrations est totalement inhumain. Le collectif R a raison de le dénoncer. Mais exposer pour cela six personnes à qui les subtilités des mondes politique et administratif suisses échappent certainement, est-ce moins cynique?
Rien n’oblige les autorités suisses à renvoyer les migrants vers le premier pays de l’espace Schengen par lequel ils ont transité. La clause discrétionnaire, ou clause de souveraineté, peut en effet être invoquée. Dans ce cas, la Suisse gère elle même la demande d’asile sur le fond. Le collectif R demande un recours systématique à cette solution.
Mais qu’on le veuille ou non, Michael Yacob, Amar, Mohamed, Mikili, Abraham et Dinkenesh (prénom d’emprunt), ne sont plus tout à fait des migrants comme les autres. En occupant une église de l’hyper-centre-ville de Lausanne et en faisant de ces personnes les démonstrations publiques de l’injustice du système, laisse-t-on aux personnes qui traitent leur dossier la possibilité d’un traitement de leurs cas individuels par la mesure aujourd’hui exceptionnelle qu’est la clause discrétionnaire? Quelle administration ou quel juge oserait y recourir sachant l’exploitation politique qui va fatalement en être faite?
Alors même si le combat du collectif R est juste, je pense que la position du Conseil synodal est adéquate. Si l’Eglise au nom de ses valeurs évangéliques se soucie davantage des individus que des systèmes, elle se doit de proposer des solutions individuelles. C’est ce qu’elle fait avec ses aumôneries et les consultations juridiques de ses œuvres CSP et EPER.
Quant à faire changer les systèmes, l’Eglise y œuvre aussi. La Fédération des Eglises protestantes de Suisse et les différentes Eglises réformées de notre pays rappellent souvent que l’accueil est une valeur fondamentale du christianisme, n’en déplaise aux partis politiques les plus prompts à défendre les «racines chrétiennes» de la Suisse.
Quant à Michael Yacob, Amar, Mohamed, Mikili, Abraham et Dinkenesh, si leur situation semble bloquée, elle pourrait évoluer. S’ils passent une période de six mois, facilement prolongeable à 18 mois, dans notre pays, la Suisse ne pourra plus demander leur renvoi Dublin. Cela fait quand même long quand on campe dans un demi-sous-sol d’église.