L’Eglise réformée vaudoise pratique-t-elle l’excommunication?
Professeure honoraire de droit et membre du synode de l’Eglise réformée vaudoise, Suzette Sandoz s’inquiète des conséquences spirituelles de l’application par une Eglise du droit du travail «laïc»
Image: L’Excommunication de Robert le Pieux, Jean-Paul Laurens, 1875
L’excommunication n’est plus une mesure officiellement pratiquée par l’Eglise protestante depuis belle lurette et pourtant il vaut la peine de se demander s’il n’existe pas, aujourd’hui encore, et, par exemple, dans l’Eglise évangélique réforme du canton de Vaud (EERV), une forme d’excommunication. La crainte m’en est venue en relation avec la double fonction actuelle de l’EERV en qualité d’employeur de ses ministres, au sens du droit du travail, et de corps religieux dont ses ministres consacrés ou agrégés sont partie intégrante.
Cette double fonction de l’EERV, exercée par le Conseil synodal (organe exécutif) et l’Office des ressources humaines, est malheureuse. La faute en est peut-être à une rédaction maladroite du règlement ecclésiastique qui dispose, à son art. 191 qu’«Un ministre consacré ou agrégé dans l’EERV qui n’a… plus de rapport de travail avec elle et qui souhaite une réintégration, s’adresse au Conseil synodal. Le Conseil synodal en décide, sur préavis de l’Office des ressources humaines».
Le Conseil synodal et le Synode (organe délibérant) viennent de prendre conscience de ce problème puisque, lors de la session des 19 et 20 juin derniers, il a été décidé que le règlement devrait être modifié sur ce point, comme d’ailleurs sur d’autres encore, afin d’éviter les effets pervers de la double casquette. Ce sera un grand progrès.
Sentiment d’injustice du passéMais les règles futures ne guérissent pas le sentiment d’injustice du passé. Il faut que les ministres actuellement licenciés sachent, maintenant déjà, qu’ils ne sont pas «exclus de l’EERV» et qu’ils n’ont pas à demander une «réintégration» s’ils veulent à nouveau postuler. Il ne s’agit pas de garantir un poste, mais seulement de dire: quelle que soit la décision, vous restez ministres consacrés ou agrégés et pouvez postuler en tout temps; vous n’êtes pas excommuniés.
Cette affirmation ne supprimerait pas d’un seul coup toute difficulté. Un problème subsiste: comment concilier à l’avenir les effets possibles du droit du travail laïc et les conséquences induites par son application au sein de l’Eglise? En droit «laïc», un licenciement peut s’accompagner d’une suspension immédiate de l’obligation de travailler, c’est-à-dire d’une interdiction de continuer à travailler. L’EERV peut-elle, sans pratiquer une forme d’excommunication, interpréter cette suspension comme une interdiction de porter la robe noire, d’accomplir, même dans un avenir proche, un engagement envers des fidèles, tels un baptême, un mariage, un culte festif préparé avec soin depuis des semaines, comme une interdiction de prêcher sur invitation d’une autre paroisse, d’entrer dans telle ou telle église?
Mesure-t-on la portée ecclésiale délétère de telles mesures, et pour le ministre traité en lépreux de la foi, et pour les fidèles? En droit laïc, l’interdiction de continuer à travailler pendant le délai de licenciement a un sens très clair et permet en principe à l’employé de consacrer du temps à la recherche d’un nouveau travail notamment dans sa branche professionnelle. Le ministre licencié ne peut pas obtenir une nouvelle chance dans son Eglise puisqu’elle vient, elle, de le licencier, il ne peut donc pas réellement mettre à profit une dispense de l’obligation de travailler.
En outre, en droit laïc, une violation de cette interdiction de travailler peut être accompagnée d’une menace de licenciement immédiat (suppression du délai de congé, avec privation de salaire). Peut-on réellement menacer le ministre d’une telle sanction si, violant l’interdiction de travailler, il remplit encore ses obligations au moins immédiates envers les fidèles? De telles situations se sont produites. Elles ont été ressenties comme une excommunication.
Employeur encore inexpérimenté depuis que les ministres ne sont plus engagés par l’Etat, l’EERV (Conseil synodal, Synode, Office des ressources humaines) doivent découvrir la manière de concilier l’application «classique» du droit du travail et la spécificité des conséquences de ce dernier par rapport à l’Eglise. Tout est encore à faire.
Lieu de réconciliation et de pardonDes blessures ont été causées pendant cette période d’apprentissage. L’Eglise est un lieu de réconciliation et de pardon. Que des ministres aient parfois mal rempli leur cahier des charges, nul ne saurait le contester, mais que les mesures prises par les autorités, dans les termes secs de la loi, aient été vécues comme une forme d’excommunication, conduisant certains ministres à la maladie, voire au désespoir, d’autres à l’inquiétude et au doute quant à leur vocation, c’est totalement compréhensible.
Un geste de réconciliation de la part des autorités responsables et une invitation à la reconnaissance d’erreurs réciproques permettrait à l’Eglise d’être «porteuse d’une parole d’espérance» conformément au programme de législature 2014-2019 présenté par le Conseil synodal.