Taizé: l’école de la dynamique du provisoire
Journaliste et pasteur, le directeur de Médias-pro – le département protestant des médias – Michel Kocher s’interroge sur le succès et la pérennité de Taizé.
Photo: Prière à Taizé CC(by-sa) Damir Jelic
Au moment de l’annonce du décès tragique de Frère Roger, personne ne savait vraiment, au sein de la rédaction de l’information à la Radio Télévision Suisse, qui était ce pasteur d’origine protestante, devenu prieur d’une communauté œcuménique. L’émotion suscitée par sa mort, autant que l’impact médiatique qui s’en suivit, a fait de ce nom une référence dans le monde largement sécularisé du journalisme d’information. Taizé, qui jouissait déjà d’une large renommée dans une multitude de cercles chrétiens, a trouvé un nouvel espace de notoriété. À juste titre. C’est l’un des lieux où l’œcuménisme se traduit de façon concrète, crédible et rassembleuse. C’est surtout le troisième de ces qualificatifs qui est le plus rare dans cette tierce gagnante. Nombre d’aumôneries font un travail œcuménique concret et crédible. Mais il n’est plus guère rassembleur, au-delà de cercles d’initiés ou de personnes déjà convaincues. Or Taizé continue d’être une destination où des jeunes, et d’autres se rassemblent en masse, toutes confessions confondues.
Se maintenir dans le provisoire?Peut-être faut-il chercher la pérennité de ce succès… ailleurs que dans l’idéal œcuménique, du moins tel qu’il fut porteur le dernier quart du 20e siècle. À écouter les échos et les confidences des uns et des autres, Taizé est soit emportée par une vague catholicisante soit restée bien trop protestante. Comme si personne n’y trouvait vraiment son compte. Il est vrai que le message envoyé par la communauté au niveau des relations interconfessionnelles n’est pas des plus limpide. Mais peut-il l’être plus que celui légué par Frère Roger ? En se rapprochant de Rome sans jamais se convertir – à la différence de Max Thurian, ni renier ses attaches réformées, il a montré une voie originale, toujours pionnière, indépassable aujourd’hui encore. C’est la dynamique du provisoire, livre qu’il publie en 1965 déjà. Dans cette perspective, l’identité confessionnelle est importante certes, mais elle ne dit pas tout de l’être de chrétien, de son pèlerinage vers la vie et la justice, de son aspiration à l’unité. Au moment où les chrétientés européennes, versions catholiques, protestantes ou orthodoxes, voient leurs assises séculaires ébranlées, le provisoire n’a rien perdu de son actualité, sans doute en a-t-il même gagné de nouvelles.
«Je trie et je garde ce qui me convient»Aujourd’hui, les sociologues de la religion le montrent sans forme de contestation possible: la confession est de moins en moins un marqueur identitaire. Ce qui ne veut pas dire que nos contemporains sont majoritairement agnostiques. Mais, de leur héritage religieux confessionnel, pour autant qu’ils l’assument (!), ils trient et gardent ce qui leur convient, suivant en cela la société de l’égo, aujourd’hui triomphante. À ces croyants, Taizé offre un espace assez bien calibré… pour ceux qui font le pas de s’y rendre ou de puiser dans sa spiritualité et son hymnologie. Peu ou pas de contraintes dogmatiques, mais une forme de cadre liturgique large, prenant, modulable dans lequel chacun peut se trouver une place, prendre ce qui lui convient, et laisser ce qui ne lui parle pas. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas! Ce n’est pas un supermarché. Aller à Taizé est exigeant. C’est accepter d’être questionné, de laisser parler son cœur, d’écouter les Écritures, de s’ouvrir à la communion des saints. En résumé, c’est entrer dans une dynamique, celle du provisoire de sa vie, de ses choix comme aussi le provisoire des communautés ecclésiales, de leurs visages, des positionnements qu’elles promeuvent au nom de leurs convictions.
Cette série d’articles consacrés à l’anniversaire de Taizé, vous est proposée dans le cadre d’une collaboration entre Protestinfo et Cath.ch.