La liberté ne vaut que par les limites qu’on accepte de lui mettre

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La liberté ne vaut que par les limites qu’on accepte de lui mettre

30 avril 2015
Chaque mercredi, Protestinfo donne carte blanche à un chroniqueur.

Ancien membre de la Commission nationale suisse d’éthique et du Comité international de bioéthique de l’UNESCO, Jean Martin a été interpelé par l’actualité des Etats-Unis. Il réaffirme la nécessité de fixer des limites à la liberté afin d’assurer le vivre ensemble.

Photo: La statue de la Liberté, CC(by) Shinya Suzuki

Je viens de faire un séjour aux Etats-Unis dans la famille d’un de nos enfants. Il y a quelques mois, le pays a été vivement interpelé par le meurtre à Ferguson, Missouri, d’un jeune Noir par un policier. Début mars, un rapport officiel a conclu à des pratiques manifestes de discrimination raciale par la police locale, poussant le chef à la démission, le 11 mars. Au même moment, l’Université d’Oklahoma excluait deux étudiants qu’une vidéo montrait chantant des hymnes racistes rappelant l’époque de la ségrégation et des lynchages.

Ainsi, s’il existe encore beaucoup de racisme ordinaire aux Etats-Unis, illustré notamment par des chiffres montrant comment les tribunaux punissent très différemment les actes délictueux ou criminels selon qu’ils sont le fait d’un Blanc ou d’un Noir, certaines réactions correctrices appropriées interviennent; il y a lieu bien sûr de s’en féliciter.

Une certaine ambiance nostalgique avec des facettes racistes est confortée par la résistance du parti républicain (caricaturé comme étant celui des «vieux mâles blancs») à tout changement susceptible de promouvoir un pays plus équitable, divers et multiculturel, qui corresponde à sa réalité actuelle. A vrai dire, les attaques extrêmes dont est victime le Président Obama – et son épouse, souvent teintées de racisme, font douter de la raison de plusieurs politiciens et journalistes.

Dangereuse idéologie d’un «droit à faire tout et n’importe quoi»

Les étudiants exclus de l’Université d’Oklahoma ont leurs soutiens, qui allèguent la garantie constitutionnelle de la liberté d’expression - dans la foulée de dérives de type libertarien encouragées par des milieux qui ne comptent pas l’argent qu’ils y consacrent.

En Suisse aussi, la norme pénale antiraciste (art. 261 bis de notre Code pénal), pourtant adoptée en vote populaire, est attaquée avec une motivation semblable. Or, l’invocation idéologique d’un «droit à faire tout et n’importe quoi» est un danger sérieux pour notre vivre ensemble. Je crois à la formule «La liberté ne vaut que par les limites qu’on accepte de lui mettre» (qui fait écho à «la liberté de l’un s’arrête là où commence celle de l’autre»). Peut-on contester que le respect de l’autre doit être, pour la vie en société, un impératif aussi fort qu’une conception maximaliste de la liberté?

Ici on est amené à évoquer les assassinats odieux, à Paris le 7 janvier, de journalistes de «Charlie Hebdo». Il faut haïr de tels actes, je les hais. Mais je ne peux pas être d’accord avec les revendications dogmatiques d’un droit absolu à l’insulte ou au blasphème.

Des anathèmes laïcs qui nient la liberté d’expression

D’abord, il y a de longue date des dispositions réprimant la calomnie ou la diffamation. Ensuite, une société qui voudrait ignorer, ou pire éradiquer, le fait religieux est condamnée à s’enfermer, comme la France actuellement, dans une laïcité ombrageuse, coercitive, réagissant de manière stridente dès que la dimension religion de la vie apparaît en public. Intransigeance qui à vrai dire a des aspects bornés. Comment ne voit-on pas que les anathèmes laïcs lancés à des paroles ou actes qui ne sont que l’expression, non belliqueuse, et non-prosélyte, de ses convictions nient précisément cette liberté qu’on entend mettre sur un piédestal? Le principe prévalant en Suisse de la neutralité des pouvoirs publics en matière religieuse est certainement plus adéquat.

Il importe donc de promouvoir une convivialité marquée par le respect et par l’ouverture à comprendre l’autre et ses raisons. Etant entendu que, s’il y a lieu de chercher à comprendre, il ne peut être question de tout excuser et que certaines choses doivent être punissables – et punies!

Choisir ce que l’on privilégie

La question est de savoir ce que nous voulons privilégier: une forme exacerbée de liberté individuelle ou un vivre ensemble respectueux. A mon sens, la première option est une voie discutable, qui se révèlera une impasse source d’incessants conflits. Une civilité fondamentale et le civisme dont nous sommes fiers demandent qu’on souligne que sa propre liberté n’inclut certainement pas de pouvoir insulter ad libitum autrui, ses croyances, ses caractères raciaux ou d’origine.

PS: Autre sujet: ce sont aussi des «libertaires» qui s’opposent à la dispensation raisonnable, comme cela se fait avec succès, en Suisse par exemple, depuis plusieurs décennies, d’éducation sexuelle à l’école, sous une forme adaptée à l’âge. Une telle démarche a aussi des aspects discriminatoires: une partie des enfants ne reçoivent pas du tout à la maison les messages équilibrés, sains, nécessaires dans ce domaine et ils seraient alors désavantagés, et plus à risque d’erreurs ou malheurs ultérieurs, s’ils n’en entendent plus parler à l’école.