Philip Potter, une légende du mouvement œcuménique
Le théologien neuchâtelois Théo Buss, qui fut attaché de presse du Conseil œcuménique des Eglises (COE) de 1982 à 1991 a tenu a rendre hommage à Philip Poter. L’ancien secrétaire général du COE est décédé le 31 mars passé.
Photo: Philipp Poter en février 1966 ©COE
Philip Potter, le troisième secrétaire général (1972-1984) du Conseil œcuménique des Eglises (COE), fut une personnalité de stature mondiale, qui se fit connaître pour avoir accompagné des Eglises sur tous les continents dans leurs efforts pour l’unité des chrétiens, ainsi que leur engagement pour la justice, la paix et l’intégrité de la création. C’est ce qu’a déclaré l’actuel secrétaire général du COE Olav Fykse Tveit (voir la brève de Protestinfo du 1er avril 2015).
Originaire d’une petite île des Antilles, Potter consolida le Programme de lutte contre le racisme (PLR) créé en 1969. Grâce à son engagement sans faille, à la tête de près de 400 collègues au COE, le PLR trouva des soutiens nouveaux, et put non seulement s’étendre en Afrique australe, mais aussi toucher d’autres formes de racisme dans le monde entier. Sinon, le PLR aurait sans doute été stoppé, tant il était controversé à l’intérieur du Comité central du COE et de certaines Eglises, en Suisse et en Allemagne par exemple, qui n’adhérèrent jamais au Programme.
Le Néerlandais Baudoin Sjollema, premier directeur du PLR, parle de Philip Potter comme d’une «source d’inspiration», et se demande rétrospectivement ce qu’il serait advenu du PLR si le Noir des Caraïbes n’était pas devenu secrétaire général du COE à ce moment crucial du processus de décolonisation.1 A peine libéré, après 27 ans d’emprisonnement, Nelson Mandela vint en personne à Genève, afin de remercier le COE pour son engagement en faveur de l’abolition de l’apartheid!
D’abord actif dans les mouvements de jeunesse, comme la Fédération mondiale des Associations chrétiennes d’étudiants (FUACE), Philip Potter dirigeait le COE lorsque fut adopté en 1982 le document théologiquement fondamental pour l’unité des chrétiens, nommé Baptême, eucharistie, ministère (BEM), élaboré au sein de la Commission Foi et Constitution, dans laquelle l’Eglise catholique collabore pleinement. Dans ce domaine, le Groupe des Dombes, œcuménique lui aussi, avait préparé le terrain avec ses études sur le sujet dans les années 60 et 70.
Un être charismatiqueLe génie de Potter, à mes yeux, résidait aussi dans sa capacité d’analyse de l’actualité (qu’on appelle analyse de conjoncture en théologie de la libération): il avait le don d’éclairer une situation, un conflit, à partir d’un chapitre de la Bible, ou de quelques versets des Evangiles. Les appliquant au présent, il en faisait une actualisation saisissante. Il procédait ainsi comme secrétaire général à chaque session du Comité central du COE et à l’occasion des Assemblées. Les participants, de même que les nombreux journalistes qui couvraient ces événements, étaient très friands de tels joyaux, dans lesquels il ne ménageait ni certains dirigeants d’Eglises ni les Etats en crise.
En février 1983, afin de préparer la VIe Assemblée du COE, qui allait se tenir à Vancouver (Canada), Philip Potter se rendit à Lyon, à l’invitation de l’Association professionnelle des informateurs religieux de France, où j’eus l’honneur de l’accompagner. L’Assemblée se préparait sous l’égide du thème «Jésus-Christ, vie du monde». L’entretien de Philipp Potter avec une cinquantaine de journalistes allait s’achever, lorsque le président de l’Association osa encore une question: Monsieur le Secrétaire général, il se trouve que vous arrivez à Lyon la semaine même où Klaus Barbie2 a été débarqué, en provenance de la Bolivie où il se tenait caché. Y a-t-il un rapport entre le thème de l’Assemblée de Vancouver et son arrestation?
Après un moment de réflexion, le pasteur Potter répondit, je cite de mémoire: «cette affaire a un lien avec la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis, avec la Révolution française et l’occupation de la France par les nazis. Aux Etats-Unis, on proclama au XVIIIe siècle la liberté des citoyens, sans même mentionner les Noirs et les Indiens, premiers habitants du territoire. A la Révolution française, les “Droits de l’homme” n’incluaient pas les femmes.» Et de conclure, devant les journalistes religieux sidérés: «Barbie commandait un contingent de 300 SS. Comment avec si peu d’hommes a-t-il pu mater des millions de Français? Et les collabos?»
1 Cf. Baldwin Sjollema: «Never bow to racism, Personal account of the Ecumenical Struggle», WCC Publications, 2015, p. 63, 65.
2 Chef de la Gestapo de la région lyonnaise pendant la 2e guerre mondiale, Klaus Barbie fut condamné en 1987 à la prison à perpétuité pour la déportation de centaines de Juifs de France, notamment de 44 enfants. Il mourut en prison en 1991.
Pour compléter...
Le COE propose une biographie de Philipp Potter