Omnia Marzouk: «Je ne suis pas prête à laisser une minorité de personnes avec des points de vue extrêmes, prendre le contrôle des débats»

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Omnia Marzouk: «Je ne suis pas prête à laisser une minorité de personnes avec des points de vue extrêmes, prendre le contrôle des débats»

29 janvier 2015
Connue en Suisse romande principalement pour les rencontres qu’elle organise à Caux dans les hauts de Montreux, l’ONG «Initiatives et Changement international» œuvre pour la réconciliation des peuples. Sa présidente, Omnia Marzouk, est pédiatre. D’origine égyptienne, elle vit au Royaume-Uni. Directeur général de ce mouvement, le cinéaste Imad Karam a grandi dans la bande de Gaza. Il vit également au Royaume-Uni. Rencontre lors d’un passage dans les bureaux genevois de l’organisation.

Propos recueillis pas Joël Burri

Comme croyants musulmans et militants pour la non-violence comment réagissez-vous à l’augmentation sans fin du terrorisme et des conflits impliquant la religion d’une façon ou d’une autre?

Omnia Marzouk: Ceux d’entre nous qui croient que l’on peut agir en faveur de de la paix et de la non-violence doivent redoubler leurs efforts.

De mon point de vue j’ai décidé à l’âge de 21 ans de devenir créatrice de liens entre personnes différentes que ce soit d’un point de vue culturel ou religieux et je continue à croire que c’est cela qu’il faut faire; et même davantage que jamais. Je ne suis pas prête à laisser une minorité de personnes avec des points de vue extrêmes, prendre le contrôle des débats. Et pour moi, ce qui est à l’ordre du jour, c’est œuvrer pour la paix et la confiance, et travailler ensemble.

Ce qui s’est passé en France est choquant. Je ne crois pas en la violence comme moyen d’exprimer son désaccord. Mais je suis persuadée que les valeurs que l’on dit occidentales sont en fait des valeurs universelles et nous devons travailler pour permettre à tous s’accéder à ces valeurs. Nous devons créer les circonstances qui permettent à tous de vivre non seulement de liberté, mais aussi de fraternité et d’égalité. C’est un équilibre qui doit être trouvé et cet équilibre doit être atteint par la bonne volonté de tous. Il ne faut pas de censure, et il ne faut pas que cela soit dicté par l’Etat. Cela doit être une décision personnelle. C’est très important pour Initiative et changement d’inviter les gens à réfléchir à ce qu’ils doivent changer dans leur vie.

Enfin, je pense qu’il n’y a pas de fraternité si l’on ne se connaît pas les uns et les autres. Le centre de rencontres de Caux et l’ensemble du mouvement «Initative et changements» ont toujours été à l’avant-garde pour mettre en place de lieux où règne la confiance afin qu’un dialogue puisse avoir lieu entre personnes issues de divisions nationales ou religieuses. Lorsque des personnes différentes peuvent se rencontrer et parler, elles se comprennent mieux et peuvent travailler sur leurs divisions.

Vous insistez sur l’importance d’apprendre à connaître les autres cultures.

Omnia Marzouk: C’est important de rencontrer les autres. C’est comme cela que l’on pourra savoir ce qui risque de les blesser. C’est un défi permanent pour moi qui m’oblige à sortir sans cesse de ma zone de confort. Quand vous rencontrez les autres, vous changez votre comportement vis-à-vis d’eux. Quand vous connaissez les personnes avec qui vous avez des points de vue divergeant, vous pouvez commencer un travail ensemble, même si cela implique d’avoir des discussions parfois désagréables.

Cette réflexion demande un effort considérable. Est-ce réaliste dans une société qui valorise une certaine paresse intellectuelle?

Omnia Marzouk: Si nous souhaitons construire quelque chose qui dure, on ne peut pas faire l’économie de cette réflexion. Il faut passer par dessus la satisfaction immédiate pour arriver à quelque chose de plus durable.

Cela fait maintenant 70 ans que la Seconde Guerre est terminée. Si l’on imagine la situation il y a 70 ans, les tentations de continuer à haïr les peuples avec qui l’on était en guerre devaient être immenses. Mais c’est en combattant cette pulsion que quelques personnes telles que Jean Monnet on fait germer l’espoir de reconstruire une Europe où cela ne se reproduirait plus jamais. C’était très difficile de créer les conditions pour permettre que cela se passe et Caux, en tant que centre de rencontre, a joué un rôle important.

Où trouver l’énergie de construire cette paix, surtout pour vous Imad qui voyez votre pays déchiré par le conflit israélo-palestinien?

Imad Karam: Je crois que je ne peux tout simplement pas abandonner l’espoir. L’espoir est nécessaire pour créer un futur qui n’existe pas aujourd’hui. Et la seule alternative serait une destruction complète, c’est pourquoi je ne peux pas me permettre de perdre l’espoir même dans les pires circonstances. Et je ne suis pas seul!

C’est presque comme la situation il y a quelques décennies, ici en Europe. En période de guerre les gens se polarisent et perdent la notion de «quoi» est juste et se focalisent sur «qui» est juste. C’est tout le sens d’initiative et changement: rechercher ce qui est juste plutôt que qui a raison. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais cela s’est fait en Europe. Vous me parlez de Palestine, mais qui imaginait après la guerre que la réconciliation entre Français et Allemands serait possible? Donc l’Europe me donne de l’espoir, l’Afrique du Sud me donne de l’espoir et de nombreuses autres situations me donnent espoir.

Vous produisez des films. Est-ce que les médias sont un moyen de produire des ponts entre les cultures?

Imad Karam: Les nouvelles parlent toujours de mauvaises nouvelles. Les films permettent d’apporter une vision positive. Omnia Marzouk disait précédemment qu’il n’est pas possible de se réconcilier si on ne se connaît pas. Je pense que les films peuvent contribuer à se connaître et à se comprendre.

Mais les médias ne s’intéressent qu’aux mauvaises nouvelles. C’est pour ça que je fais des films, pour encourager ceux qui luttent pour la paix. Je veux montrer que la coexistence est possible, que l’on peut vivre avec des personnes différentes. Il faut détruire ses préjugés et stéréotypes à l’encontre d’autres personnes. Tous ces préjugés poussent à la crainte. C’est humain, j’ai peur pour ma vie, pour mon travail, pour ma femme et pour mon futur, par exemple, mais je dois apprendre à gérer ces craintes. En ne partageant que des nouvelles négatives sans les équilibrer avec de bonnes nouvelles, les médias participent à accentuer les craintes.

Mais je comprends que les rédactions qui financent des reporters les envoient sur les lieux où se passe l’action et malheureusement ce sont souvent les zones de conflit. En plus, c’est assez humain, quand une maison est détruite ou en feu, il va y avoir des journalistes, mais quand une communauté reconstruit un bâtiment quel média suit la construction? Mais dans nos périodes de difficultés, les médias ont plus encore que d’habitude une responsabilité de communiquer aussi les messages de fraternité et de vie.