Pris entre deux mondes, les druzes israéliens luttent pour l’égalité au milieu de tensions croissantes

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Pris entre deux mondes, les druzes israéliens luttent pour l’égalité au milieu de tensions croissantes

Ben Hartman
11 décembre 2014
Séparés de la branche chiite de l’Islam au XXe siècle la communauté druze n’est aujourd’hui plus reconnue comme musulmane par la plupart des musulmans. Les quelque 130’000 druzes d’Israël jouissent d’une reconnaissance particulière, ils sont, par exemple, appelés à effectuer leur service militaire. Aujourd’hui pourtant cette communauté se sent mal reconnue par les juifs et les tensions avec les arabes s’accentuent.

Photo: Des soldats druzes dans un bataillon d’élite de l’armée d’Israël. CC(by-nc)Israel Defense Forces

, Abu Snan, Israël (RNS/Protestinter)

Des impacts de balles marquent les fenêtres de l’ancien bureau du conseil municipal, et les jeeps blindées de la police paramilitaire patrouillent dans la rue principale de ce village mixte, musulman et druze, dans la région de Galilée.

Il y a quelques semaines, plus de 40 personnes ont été blessées dans une bagarre entre les deux communautés. La plupart d’entre elles l’ont été par une grenade lancée au milieu d’un groupe d’émeutiers musulmans.

Abu Snan, qui est à peu de choses près musulmane pour moitié et druze pour un tiers (le pourcentage restant est constitué de chrétiens), a vu croître les tensions entre les citoyens arabes musulmans d’Israël et leurs voisins druzes –adeptes d’une religion monothéiste et initiatique qui prend racine dans l’Islam, mais qui aujourd’hui a pris la forme d’une croyance distincte.

Astreints au service militaire

En 1956, l’Etat d’Israël a adopté une loi imposant le service militaire pour les druzes, et depuis lors, ils ont servi en première ligne dans les guerres d’Israël. Plus de 83% des druzes admissibles s’enrôlent dans l’armée israélienne, ce qui est plus que le taux d’enrôlement de 75% que l’on trouve du côté des Juifs. Les druzes disent qu’ils ont le sens du devoir envers l’Etat, et ils veulent aussi améliorer leurs perspectives d’emploi et s’assurer ainsi un avenir meilleur.

Les druzes sont une petite branche d’origine islamique presque entièrement basée au Liban, en Syrie et Israël. Ils comptent entre un et deux millions de personnes, dont plusieurs centaines de milliers se trouvent en Syrie, ce qui en fait la plus grande communauté druze. En Israël, ils étaient autour des 130’000 en 2011, d’après le Bureau central des statistiques israélien. La plupart sont concentrés dans le nord d’Israël, dont environ 20’000 dans quatre villages dans le plateau du Golan, annexé par Israël en 1981. Plus de 90% des Druzes du plateau du Golan ont refusé la nationalité israélienne par fidélité à la Syrie, où la plupart ont des liens de famille.

Issus du chiisme

Les druzes se sont séparés de la branche chiite de l’Islam en Egypte, au XXe siècle. De culture et de langue arabes, ils ne sont pas pour la plupart considérés comme des musulmans par le reste du monde musulman, et ils ne suivent pas les cinq piliers de l’Islam.

Cette communauté religieuse interdit les mariages mixtes, mais cela n’a pas empêché l’avocate des droits de l’homme Amal Ramzi Alamuddin, libano-britannique, de se marier en septembre avec l’acteur George Clooney. Cet événement a mis l’accent sur cette branche musulmane hétérodoxe relativement méconnue. Amal Ramzi Alamuddin est aussi le fruit d’un mariage mixte, puisqu’elle est née d’un père druze et d’une mère sunnite.

Le service des druzes dans l’armée israélienne a jeté une pomme de discorde entre eux et leurs voisins arabes musulmans, qui pour la plupart s’identifient aux Palestiniens et voient les druzes comme des compatriotes arabes.

Tensions croissantes avec les Arabes

La population locale du village était réticente à s’exprimer sur la question, ou même à reconnaître que la tension était en train de s’accroître entre les deux communautés. Le président du conseil local, Nuhad Mishlav, un druze, a dit que les relations étaient bonnes, et que la bagarre était tout simplement le résultat d’un conflit personnel entre deux hommes de la région –un druze et un musulman– qui a dégénéré après que l’un ait poignardé l’autre dans un café du village. Lorsqu’on l’a interrogé sur les combats entre druzes et musulmans dans l’école secondaire locale, qui auraient éclaté pour des raisons politiques, il a accusé Facebook et les autres médias sociaux, utilisés selon lui par les étudiants pour répandre des rumeurs et des insultes parmi leurs camarades de classe.

«Depuis des générations, nous avons d’excellentes relations les uns avec les autres, mais cette génération plus jeune est violente», a-t-il déclaré. «Il y a une peur réelle ici et encore plus la nuit».

La crainte était palpable dans la maison de Bilal Taha, un homme musulman dont le fils Najib a été grièvement blessé aux jambes, à l’aine et au dos par des éclats, après que la grenade ait été lancée dans la foule des musulmans. Ni Bilal Taha ni Najib n’ont admis que les liens étaient détériorés entre les druzes et les musulmans. L’homme musulman poignardé dans le café, ce qui a déclenché la bagarre, se trouve être l’un des parents de Bilal Taha, et il affirme que c’est un conflit personnel qui a échappé à tout contrôle.

Mais il a rajouté que si la police n’arrêtait pas l’homme qui a lancé la grenade, et que si l’homme musulman toujours hospitalisé dans un état critique venait à mourir, les choses pourraient de nouveau dégénérer, dans une violence peut être encore pire que celle d’avant.

«Chaque jour, le calme revient un peu plus ici, mais notre grande crainte est qu’une personne meure, et tout pourrait recommencer», a-t-il dit.

En attendant, la violence continue et des attaques terroristes d’hommes isolés ont frappé principalement à Jérusalem. Lors de deux de ces attaques, l’une dans le tramway de Jérusalem et l’autre dans une synagogue, des policiers druzes ont été tués.

Un des policiers druzes, Zidan Saif, était déjà sur place quand deux terroristes palestiniens armés de couteaux de boucher et d’un pistolet ont fait irruption dans une synagogue de Jérusalem-Ouest, tuant quatre fidèles. Zidan Saif a été touché à la tête par l’un des terroristes alors qu’ils sortaient de la synagogue; il est mort plus tard dans la nuit.

Manque de reconnaissance d’Israël

Son héroïsme a inspiré des Israéliens à travers le pays, mais juste quelques jours plus tard, le gouvernement dirigé par le Premier ministre Benjamin Netanyahu a commencé à mettre en avant une loi qui reconnaîtrait officiellement Israël comme l’Etat-nation des Juifs, s’attirant ainsi les foudres des Israéliens non-juifs, y compris les druzes.

Interviewé par la chaîne Channel 10 cette semaine, Murad Saif, le frère de Zidan Saif, a déclaré: «Je pense que maintenant il ne me reste qu’à encourager les jeunes druzes à ne pas s’enrôler dans l’armée... de toute façon, ils vont nous traiter comme des Arabes, alors pourquoi s’engager et se battre?»

Le chef spirituel des druzes en Israël, le Sheikh Muwaffak Tarif, a déclaré que les druzes étaient fiers de servir aussi longtemps qu’ils seraient assurés de l’égalité de leurs droits.

«Nous aimons et respectons les juifs et servons à leurs côtés», a déclaré Muwaffak Tariff. «Nous avons une alliance de sang avec les juifs, mais nous avons aussi besoin d’une alliance dans la vie. Nos jeunes sont en colère et frustrés. Nous donnons beaucoup à l’Etat et nous ne recevons rien en retour. Nous sommes négligés, il n’y a pas d’emplois pour nous, nos jeunes hommes ne peuvent pas obtenir de permis pour construire une maison.»

Un mémorial pour les soldats druzes

Amal Nasereldeen est un ancien membre du parlement israélien, qui a fondé un mémorial pour les 405 soldats et policiers druzes qui sont tombés au service de l’Etat d’Israël. Le complexe comprend également une académie militaire préparatoire avec 38 cadets, et se trouve sur une colline au-dessus de la ville druze de Daliyat al-Carmel.

Des hommes armés qui se sont infiltrés de Jordanie en 1969 ont assassiné l’un des fils d’Amal Nasereldeen, Lufti; un deuxième a été enlevé dans la ville palestinienne de Jénine dans les années 1990 et n’a jamais été retrouvé. Un petit-fils, Lufti, a été tué en 2008, dans l’opération israélienne Plomb Durci dans la bande de Gaza.

Amal Nasereldeen a déclaré qu’il envoyait constamment des lettres au gouvernement au sujet du chômage, de la pauvreté et de la pénurie de logements, auxquels devaient faire face les soldats druzes démobilisés, et qu’il considérait les traitements infligés par l’Etat à la communauté druze comme un manquement.

«Les druzes sont une part inséparable de notre pays, mais ils veulent des droits égaux et c’est légitime qu’il en soit ainsi», a-t-il dit. «Les juifs n’ont aucun ami comme les Druzes dans le Moyen-Orient ou dans le monde.»